Dans un État constitutionnellement et historiquement religieux comme le Maroc, dont le chef d'État est officiellement un descendant et le successeur du prophète Muhammad ﷺ, la moindre manifestation d'athéisme ou prise de distance avec l'islam sont d'emblée perçues comme des atteintes aux valeurs sacrées du régime et de la nation. Ce qui explique en partie pourquoi les sentiments antireligieux sont si rares au royaume chérifien.
S'ajoutent en outre la situation contemporaine de l'islam et le moment historique qui est le nôtre, marqués par le souvenir de la colonisation. Et enfin les malentendus et le malaise des musulmans vivant dans les sociétés islamiques autour de la notion de laïcité. Rappelons que ce concept est né dans des sociétés chrétiennes, en particulier en France, société de tradition catholique et qui l'a diffusée dans les pays musulmans qu'elle a colonisés. La laïcité, dont les musulmans n'ont jamais bénéficié en terre coloniale, notamment au Maroc où les lois religieuses n'ont jamais été abolies, est perçue de manière obscure comme para- chrétienne par la majorité des musulmans. Le terme, inconnu jusqu'au 20e siècle en langue arabe, est fréquemment associé à l'athéisme, une abomination du point de vue théologique et coranique, voire à une manifestation hostile du christianisme.
Cependant, la laïcité est désormais acceptée par les intellectuels progressistes, du Maroc à la Tunisie, et par toute une frange libérale des élites, qui ont compris le profit politique qu'elles pourraient tirer du respect de cette notion aux yeux des Européens. De sorte que dans cet État éminemment religieux, le mot « laïcité » circule au sein des élites, au point d'être parfois revendiqué par le Palais lui-même, ce qui est un comble. Au lendemain des attentats de 2003, SM le roi Mohammed 6 s'est présenté aux Européens en tant que défenseur du pluralisme, au sens où il était la garantie contre les intrusions des « religieux » dans le champ politique, en l'occurrence des islamistes: du fait que la Constitution et les lois en vigueur interdiraient aux imams de faire de la politique, et aux partis de se revendiquer d'un référentiel religieux, le régime marocain serait le garant de la laïcité.
Cet état de fait rappelle la mauvaise lecture que nous faisons de la laïcité turque qui n'a jamais séparé l'État de l'islam, mais a confié la direction de l'islam à l'État, et est donc parfaitement compatible avec l'islam politique dans sa version frériste actuelle. De même, au Maroc, la conduite de l'État par un calife Commandeur des croyants peut difficilement se présenter comme laïque, ce dont témoigne aussi bien la difficulté d'exister des chrétiens nationaux que la persistance des lois religieuses, qui régissent la vie des Marocains.
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