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BEN BARKA, UN AGENT RÉMUNÉRÉ


Mehdi Ben Barka s’est laissé approcher par la Státní Bezpečnost (Sécurité d’État, StB) tchécoslovaque depuis 1960. Quelques mois avant sa disparition, Ben Barka suivait un stage de formation aux techniques conspiratives en mars 1965 à Prague avant de se rendre au Caire, dans le cadre d’un colloque sur la Palestine.


Mehdi Ben Barka, dossier 43-802. Un chercheur de l’université Charles de Prague, Jan Koura, a pu consulter le dossier des services secrets tchécoslovaques – la Sûreté de l’État (StB) – sur Ben Barka, et croiser ces archives avec 1 500 pages de documents récemment déclassifiés. D’après lui, Ben Barka a entretenu d’étroites relations rémunérées avec la StB. «Cela ne fait aucun doute. Tous les documents le confirment», déclare-t-il à The Observer.


Ce n’est pas vraiment «une information inédite». En 2015 déjà, Gérald Arboit, historien français spécialiste des relations internationales contemporaines, a livré des relations inédites sur les compromissions du leader socialiste dans une étude intitulée l’Affaire Ben Barka du point de vue des services de renseignement. On y lit : «Ben Barka va chercher à obtenir (…) de la part des Tchécoslovaques (…) un soutien financier et un approvisionnement en armes pour ses partisans quand l’heure du soulèvement arriverait. Comme les Israéliens, les Tchécoslovaques lui offrirent de venir visiter leur pays ; il s’y rendit onze fois à compter de septembre 1961. Ils le stipendièrent en outre pour son voyage en Guinée, à la deuxième Conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques, où Ben Barka prononça un discours encore très favorable à Israël. Pourtant, s’enferrant dans sa relation avec le StB, il lui offrit des informations sur la France, en provenance du SDECE, du Quai d’Orsay et du ministère des Armées. Dans le langage du renseignement de l’Est, il fut d’abord un verbovka agenta (agent en recrutement), puis devint, à l’issue de son second séjour à Prague, en février 1963, un důvěrným stykem (contact confidentiel). Le changement qui suscita ce déclassement aux yeux du StB tenait au changement de la donne politique marocaine. Ben Barka retourna dans son pays le 15 mai 1962, suspendant ses rapports avec le capitaine Mičke. Lors d’un bref séjour à Prague, en février suivant, il se vit affecter deux nouveaux officiers traitants, Karel Čermák et Jiřího Vančuru, du siège du StB1. Ben Barka continua encore ses allers-retours vers Prague de juillet 1963 à octobre 1965. Entre temps, il fut notamment invité à remplir une mission de bons offices entre les amis tchécoslovaques et ses amis baasistes en Syrie en mai 1963, mais il ne trouva pas “le moment approprié pour une telle intervention de l’emporter, propos[ant] d’attendre un certain temps”», affirme le spécialiste.


Selon la même source, Ben Barka complotait avec le StB, et il était difficile de le localiser car il «se déplaçait sans cesse, changeant d’identité à chacun de ses voyages entre Alger, où il avait sa résidence, et Le Caire, où il bénéficiait de complicités.» Sous le nom de code «Cheikh», Ben Barka, aurait, des années durant, fourni des informations à divers officiers traitants ; informations envoyées ensuite au KGB, a-t-on dévoilé en 2007. Le journaliste Petr Zidek  raconte : «En cet automne 1961, la StB franchit un pas supplémentaire en commençant à rémunérer Ben Barka. Celui-ci reçoit 1 500 francs par mois en échange de documents qu’il présente comme étant des bulletins du Service de documentation et de contre-espionnage français, le Sdece. Il affirme les tenir d’un agent français rencontré grâce au journaliste et historien Roger Paret, spécialiste du Maroc à France Observateur. Même si la StB doute de l’authenticité de ces notes, cela ne l’empêche pas de rétribuer son nouveau collaborateur. En novembre, le service finance aussi son voyage en Guinée (3 500 francs). Toutes les informations fournies par Cheikh et jugées importantes sont ensuite transmises au chef du KGB à Prague. Dans le lot: des notes du ministère français des Affaires étrangères. Ces documents du Quai d’Orsay, et ceux présentés comme des bulletins du Sdece, ne figurent pas dans le dossier dont nous disposons.»


En 1964, un capitaine tchecoslovaque « ayant pour nom de code «Doubek» rédige un long rapport sur Ben Barka. Treize pages cinglantes: sa sincérité est mise en doute; de graves contradictions sont relevées dans ses informations; il est imprudent, au téléphone ou dans ses rencontres, trop bavard sur ses liens avec Motl et le service ». Le capitaine ajoute: «Il est sûr que Cheikh est progressiste dans les contacts avec nous, proaméricain dans les contacts avec les Américains et opportuniste dans les contacts avec Bourguiba, Nasser et les baasistes d’Irak et de Syrie.» Selon M. Doubek, il y a pire: les «amis» – c’est-à-dire le KGB – pensent qu’il a été corrompu par les Chinois! 


Ce n’est qu’à l’automne 1964 que «le Maroc commence à soupçonner la Tchécoslovaquie de soutenir l’opposant en exil. Le 15 octobre, les agents de la StB en poste à Rabat envoient même un message d’alerte à Prague», affirme la même source. Petr Zidek a été interpellé par le cas Ben Barka : «D’ordinaire, écrit-il, les services recrutaient des agents moins en vue. L’opposant marocain a accepté de collaborer par conviction, et aussi parce qu’il avait besoin d’aide, notamment auprès des Soviétiques. À la lecture des documents, on découvre un homme très pragmatique, et pas forcément sympathique.»

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