LETTRES DE HENRI RÉGNAULT AU SULTAN ABDELHAFID
- 19 juil.
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Dans le tumulte diplomatique qui entoure la signature du traité de protectorat en mars 1912, les lettres échangées entre Henri Régnault, représentant de la République française, et le sultan Abdelhafid, revêtent une valeur historique inestimable.
Ces deux lettres, datées des 27 et 30 mars 1912 à Fès, constituent des documents d’archives diplomatiques majeurs. Elles révèlent les engagements personnels et institutionnels pris par la France à l’égard du souverain chérifien, à la veille de son abdication. On y retrouve une série de garanties formulées au nom du Gouvernement français : protection de la personne du sultan et de sa famille, reconnaissance de biens privés, modalités financières de la « liste civile », et précautions protocolaires entourant la signature du traité de protectorat.
Ces lettres montrent que le protectorat ne fut pas seulement imposé par la force, mais aussi encadré par des négociations bilatérales, où le sultan Abdelhafid tenta de préserver une part d’autorité, de dignité et de sécurité pour lui-même et sa descendance. Elles constituent un témoignage direct de la manière dont la monarchie marocaine, bien que contrainte, a cherché à protéger ses intérêts symboliques et matériels face à l’installation du régime colonial.
Maroc-Patriotique vous propose ci-dessous l’intégralité des deux lettres, telles que traduites et archivées par les services français, afin de permettre à chacun d’accéder à cette source essentielle de notre histoire nationale.
Première lettre
Fez, le 30 mars 1912
Pour faire suite à l’entretien que j’ai eu hier avec Votre Majesté et pour déférer au désir qu’Elle m’en a exprimé, j’ai l’honneur de lui confirmer ce qui suit :
1° – Votre Majesté recevra du Gouvernement de la République une protection spéciale pour Elle ainsi que pour sa Famille personnelle.
2° – Le jour où Votre Majesté viendrait, pour une raison quelconque, à renoncer à l’exercice du pouvoir, une pension honorable Lui sera allouée par le Gouvernement de la République.
3° – Votre Majesté pourra si Elle le juge à propos désigner l’un de ses fils comme héritier présomptif du trône Chérifien.Une entente s’établira avec le Gouvernement de la République à ce sujet.
4° – En ce qui touche le voyage que Votre Majesté projette d’accomplir à Rabat, j’ai pris bonne note de ses intentions et je défèrerai à l’invitation de l’accompagner dans ce voyage qu’Elle m’a adressée.
5° – Ainsi que Votre Majesté en a exprimé le désir, je ne manquerai pas de signaler au Gouvernement de la République les raisons pour lesquelles il y a lieu de conserver à la signature du Traité, pendant quelques jours, un caractère confidentiel ; la même attitude sera observée par le Gouvernement marocain.
6° – Enfin, le Consul de France à Fez a reçu dès à présent l’instruction de procéder sans retard au règlement de la question de Daïet Couchtan, dont la propriété a été reconnue précédemment à Votre Majesté par une lettre du Ministère des Affaires étrangères.
Deuxième lettre
Conformément à l’entretien que j’ai eu avec V. M. le 27 mars, j’ai l’honneur de lui déclarer que le traité de protectorat n’informe sur aucun point les stipulations contenues dans la note du Gouvernement Français en date du 8 novembre 1911 (16 Doul Kads 1329).
De même, il n’est apporté aucune modification à la lettre du Ministre des Affaires Étrangères du Gouvernement de la République, en date du 19 décembre 1911 tant en ce qui touche les immeubles énumérés dans ladite lettre dont la propriété a été reconnue personnellement à V. M. qu’en ce qui concerne l’emploi par Elle des fonds formant la liste civile.
De notre entretien du 27 mars, il a été en outre convenu ce qui suit :
1° – Une somme de 500 000 Fr. est dès à présent déposée à la Banque d’État du Maroc au compte de V. M. conformément aux stipulations du paragraphe 18 de la note précitée du Gouvernement français.
2° – Une seconde somme de 500 000 Fr. sera également versée à V. M. Chérifienne pour les mêmes objets. Le Gouvernement Français ne voit pas d’inconvénient à ce que ces deux sommes soient inscrites dans les comptes de liquidation des dettes du Makhzen.
3° – Les trois propriétés dites : Ain Essik au Djebel Taghat près de Fez, El Mamounia à Marrakech, Oughatim aux environs de ladite ville, seront également reconnues à V. M. suivant les limites connues comme étant ses propriétés privées.
4° – La liste civile de V. M. comprendra une somme de 2 800 000 P.H. [Pesetas hassanis] qui sera affectée à ses dépenses personnelles, à celles de son harem particulier, ainsi qu’aux dépenses de la famille Chérifienne vivant dans les Palais chérifiens de Fez, Méquinez [Meknès], Rabat et Marrakech. Cette somme, aux termes de la lettre du 19 novembre 1911, ne fera l’objet d’aucun contrôle de la part du Gouvernement de la République.
5° – Un crédit de 500 000 P.H. sera affecté aux chorfas qui composent la famille chérifienne habitant en dehors desdits palais.
6° – Un crédit de 400 000 P.H. sera alloué pour payer les traitements du Hajib et du caïd El Mechouar et les salaires des hanati.
7° – Un crédit de 200 000 P.H. sera ouvert pour l’entretien et les réparations des palais de Fez, Méquinez, Rabat, Marrakech et des différents Dar el Makhzen dans les autres villes du Maroc.
8° – Un crédit de 100 000 P.H. sera mis en réserve pour les dépenses imprévues. Les crédits inscrits aux n° 5, 6, 7 et 8 seront répartis conformément aux dispositions concertées entre le Grand Vizir de V. M. et le Représentant de la France au Maroc, ainsi qu’il a été indiqué dans la lettre du Ministère des Affaires étrangères en date du 19 décembre 1911.











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