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MADRASAS, JOYAUX DE SCIENCE, FOI ET SOUVERAINETÉ

  • 10 juil.
  • 3 min de lecture
madrasa maroc religion islam

Au cœur du patrimoine spirituel et intellectuel marocain, la madrasa occupe une place singulière. Bien plus qu’un simple lieu d’étude, elle incarne une tradition d’enseignement enracinée dans l’Islam, dans le respect du savoir, de la foi, et de la civilisation marocaine.


Le terme « madrasa » vient du verbe arabe "darrasa", signifiant "enseigner". Si l’enseignement a d’abord été dispensé dans les mosquées comme l’avait fait le Prophète Muhammad ﷺ au milieu de ses compagnons dans des cercles de transmission, la madrasa s’est imposée plus tard comme un prolongement organisé de cette mission éducative, sans jamais supplanter le rôle spirituel de la mosquée.


Au Maroc, la madrasa n’était pas tant un lieu d’instruction qu’un lieu de résidence pour les étudiants (les talabas) venus des campagnes et des montagnes. L’enseignement en lui-même se faisait dans les grandes mosquées et universités telles que la Qarawiyyine à Fès, fondée au IXe siècle par une femme vertueuse, ou encore la Yūsufiya à Marrakech, érigée au XIIe siècle par les Almoravides.


Le modèle de la madrasa que le Maroc finira par adapter remonte aux régions d’Irak et de Syrie, au XIe siècle, lorsque Nizām al-Mulk, vizir des Seldjoukides, lança les premières écoles sunnites structurées (comme celle de Bagdad en 1067), destinées à renforcer les fondements doctrinaux du sunnisme. Le Maroc, terre de rite malékite, adoptera une architecture plus épurée, fidèle à son unicité doctrinale. Seule exception à ce modèle : la Bū ‘Ināniya de Fès, qui comporte deux īwāns, plus pour des raisons esthétiques qu’idéologiques.


La première madrasa officielle du Maroc est fondée en 1280 (679 H.) par le sultan mérinide Abū Yūsuf à Fès : la Seffarine. Le mouvement s’accélère sous les Mérinides, qui doteront la capitale de sept madrasas prestigieuses, la dernière étant la fameuse Bū ‘Ināniya (1355). Dès le XIVe siècle, douze grandes villes du Royaume possèdent leur propre madrasa. La dynamique ne s’arrête pas là : les Sa‘adiens au XVIe siècle, puis les Sultans Alaouites, poursuivent cet élan, érigeant des madrasas dans Marrakech, Meknès, Rabat ou encore Fès avec la splendide madrasa Cherratine (1670), construite sous Moulay ar-Rashīd.


L’enseignement religieux ne s’arrêtait pas aux villes. Dans les régions rurales, des centres d’instruction ont vu le jour dès le XIe siècle dans les ribats, lieux de spiritualité, d’enseignement et de retraite. À partir du XVIe siècle, ces institutions prennent un nouvel essor sous l’impulsion de l’ordre soufi Jazūliya. Par la suite, des communautés tribales édifient leurs propres madrasas, souvent sans soutien étatique. Si l’architecture y est simple, murs en terre battue, toits de roseaux, sol en nattes, le rôle éducatif, lui, est immense. Ces madrasas rurales ont préparé des générations entières à rejoindre les grandes universités de Fès et Marrakech.


Pourtant, la naissance des madrasas ne fut pas sans susciter débats et controverses. Dès leur apparition, des voix se sont élevées pour interroger la sincérité de leur fondement : les financements étaient-ils licites ? Les enseignants étaient-ils choisis pour leur mérite ou leur docilité ? Le savoir risquait-il de devenir une marchandise, captée par le pouvoir ?


Un cas célèbre illustre cette tension : au moment de l’ouverture de la madrasa Seffarine, le professeur Ishāq al-Wariyaghli entre en conflit avec le pouvoir. Accusé de critiquer la légitimité des fonds utilisés, il est expulsé avec ses étudiants. L’anecdote reflète une réalité plus profonde : celle d’un débat sur la nature même de la transmission du savoir. Est-il encore vivant lorsqu’il devient sédentaire, enfermé dans des murs, géré par des bureaucraties ?


Le grand érudit al-Abili, maître d’Ibn Khaldoun, ira plus loin encore, affirmant que les madrasas risquaient d’attirer les étudiants non pas par amour du savoir, mais pour leurs avantages matériels. Selon lui, les véritables savants, indépendants du pouvoir, ne seraient jamais sollicités par ces institutions. Et même s’ils l’étaient, ils n’y accepteraient jamais d’enseigner sous contrainte.


Pourtant, au-delà des polémiques, les madrasas du Maroc se sont imposées comme des joyaux du patrimoine islamique. Leur architecture raffinée, bois de cèdre, zellij, stucs sculptés, motifs floraux, calligraphies sublimes, élève l’âme autant que l’esprit. On y lit partout, comme un mantra visuel, l’eulogie "Al-‘Āfiya ad-Dā’ima" (le salut éternel), déclinée en coufique, cursive, en miroir ou en frise.


À travers ces espaces sacrés, le savoir était conçu comme une quête humble, placée sous le regard de Dieu. Chaque lettre calligraphiée, chaque arabesque, chaque motif n’était pas un simple ornement, mais une offrande. Et sur les murs, entre les versets gravés et les palmes stylisées, un nom revient toujours, au-dessus de tout : Allah. Avec ses attributs : Al-Mulk li-Llāh, Al-‘Izz li-Llāh. Toute royauté et toute puissance n’appartiennent qu’à Lui.


Ainsi furent les madrasas du Maroc : lieux d’érudition, d’éveil, de débat, de contestation parfois, mais toujours au service d’un idéal plus haut. Une mémoire vivante, posée sur pierre et bois, pour rappeler aux générations futures que la science, comme la foi, ne s’achète ni ne se dompte. Elle se cherche, se respecte, et se transmet.

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