QUAND L’ALGÉRIE HUMILIE SES GRANDS HOMMES, LE MAROC LES HONORE
- 2 août
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L’histoire retiendra que l’un des plus grands penseurs musulmans contemporains n’a pas trouvé sa place dans son propre pays. Mohamed Arkoun, l’islamologue libre, le philosophe visionnaire, est mort banni par le régime algérien, ignoré par ses élites officielles, mais accueilli avec respect et reconnaissance par le Royaume du Maroc.
Né en 1928 à Taourirt-Mimoun, en Kabylie, Arkoun a illuminé la pensée islamique moderne par sa rigueur intellectuelle, sa méthode scientifique et son refus catégorique de toute instrumentalisation idéologique de la religion. Titulaire d’un doctorat en philosophie de la Sorbonne, professeur émérite à Paris III, il a marqué les plus grandes universités du monde par ses conférences et ses recherches, de Princeton à Édimbourg, en passant par Exeter, le Caire, Berlin ou Amsterdam.
Mais ce parcours brillant, salué par la communauté scientifique internationale, décoré en France et honoré par l’UNESCO, a été purement et simplement ignoré par l’Algérie officielle. Pourquoi ? Parce que Mohamed Arkoun refusait d’être un « intellectuel organique », pour reprendre Gramsci. Parce qu’il n’a jamais applaudi les discours creux d’un régime fondé sur une histoire mythifiée et une gouvernance autoritaire.
Mohamed Arkoun n’a jamais dissimulé sa critique des régimes arabes post-indépendance. Il dénonçait les systèmes policiers, les régimes militaires déconnectés de leurs peuples, et la confiscation de l’islam par l’orthodoxie fondamentaliste. Dans un pays comme l’Algérie, où toute pensée critique est suspecte, un tel esprit dérange.
Il écrivait :
« Toute intervention subversive est doublement censurée : par les États et par les islamistes. Dans les deux cas, la pensée moderne est rejetée ou marginalisée. »
Il fut donc marginalisé chez lui. Ignoré dans les médias. Invisible dans les universités algériennes. Méprisé par le pouvoir. Et, même dans la mort, l’indifférence a été totale.
À sa levée du corps à Paris, en 2010, les représentants de plusieurs pays arabes étaient là : Maroc, Tunisie, Qatar, Koweït. Même l’ambassadeur du Qatar avait fait le déplacement. L’Algérie ? Un simple représentant de l’ambassade. Un oubli volontaire. Un geste politique.
El Watan s’indignait à l’époque :
« L’Algérie a préféré y aller sur la pointe des pieds pour que les autres ne la voient pas se recueillir sur l’un de ses dignes fils… »
Le contraste est frappant. Pour la mort d’un cheikh de zaouïa ou d’une épouse d’ex-président, l’État algérien mobilise ses ministres. Pour Arkoun, rien. Ni mot officiel, ni hommage, ni reconnaissance. Le bannissement.
Mohamed Arkoun a choisi de s’installer à Casablanca à la fin de sa vie par affection sincère pour le Maroc. Il y donnait des conférences, participait à des colloques, échangeait avec les intellectuels locaux. Il croyait en l’avenir du Royaume et au projet réformateur de SM le Roi Mohammed VI.
Il a même déclaré lors de son dernier colloque à Casablanca :
« J’ai de grands espoirs dans ce pays en voyant ce qui y arrive depuis que l’actuel Roi dirige le pays… »
Et c’est au Maroc qu’il a choisi de reposer. Sa dépouille a été inhumée au cimetière des Martyrs à Casablanca, aux côtés de figures de la Résistance marocaine. Ce choix n’était pas un hasard. C’était une déclaration silencieuse mais forte.
Plus encore, sa veuve, Touria Yacoubi Arkoun, a offert au Royaume l’héritage intellectuel du penseur. Une convention signée à Rabat prévoit que la bibliothèque personnelle de Mohamed Arkoun, plus de 5000 ouvrages et 7000 revues rejoindra les rayons de la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc.
Un geste symbolique, mais aussi stratégique. Désormais, c’est au Maroc que l’on étudiera l’œuvre d’Arkoun. C’est à Rabat que les étudiants, chercheurs et penseurs du monde entier auront accès à ses écrits. C’est le Maroc qui transmettra aux générations futures la pensée d’un homme que l’Algérie officielle a tenté d’effacer.
Mohamed Arkoun ne se limitait pas à une critique. Il construisait. Il voulait réconcilier foi et raison, islam et modernité, spiritualité et liberté. Il plaidait pour un islam libéré de ses carcans historiques, capable de dialogue interreligieux et d’ouverture.
Il a reçu le prestigieux « Giorgio Levi Della Vida Award » en 2002, le prix Ibn Rushd en 2003, la Légion d’honneur, les Palmes académiques… et surtout le respect du monde entier. Partout, sauf dans son propre pays.
Mohamed Arkoun n’a jamais été « l’amuseur de la galerie », ni un courtisan du régime. Il a payé le prix de son indépendance. Il a été, selon les mots de Ghaleb Bencheikh, un homme libre, aux critiques acerbes mais lucides. Il a refusé de devenir un porte-parole de propagande. C’est ce qui l’a rendu insupportable aux yeux des pouvoirs successifs d’Alger.
Mais comme toujours, l’histoire est implacable. Ceux que les régimes rejettent, les peuples les adoptent. Les kabyles ont pleuré Mohamed Arkoun. Le Maroc, lui, l’a adopté. Et son œuvre y brillera encore, bien après que les censeurs auront disparu.












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