RELECTURE DU DISCOURS HISTORIQUE DU 6 NOVEMBRE 1985
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Nous sommes le 6 novembre 1985, Feu SM le roi Hassan II adresse un discours à l'occasion du 10e anniversaire de la Marche verte. Le 6 novembre 1975, date gravée dans la mémoire du Royaume, nous republions le discours solennel prononcé au peuple marocain.
Ce discours est l’un des plus puissants jamais adressés à la Nation. Il revient sur l’esprit de la Marche, sur la détermination inébranlable du Maroc à défendre son unité territoriale, et sur la force morale d’un peuple qui a su avancer, pacifiquement mais résolument, pour recouvrer son Sahara.
Louange à Dieu
Que la prière et le salut soient sur le Prophète, Sa Famille et Ses Compagnons.
Cher Peuple,
Nous célébrons ensemble le dixième Anniversaire de la Marche Verte. Ta “Massira”, en effet, fut déclenchée ce même jour en 1975. Ce jour-là, tu foulas ton sol au Sahara, tu y retrouvais tes frères, tu te prosternas devant Dieu en signe de reconnaissance pour les bienfaits dont Il t’a gratifié. Quelques jours après, tu célébras à la manière des Moudjahidine, sur le sol du Sahara bien-aimé, la prière solennelle du vendredi.
Ce furent là, cher Peuple, des signes historiques parfaitement clairs dans leur profonde signification affective que nul parmi nous ne peut oublier, qui resteront gravés dans la mémoire de chacun.
Le Maroc, grâces en soient rendues au Très-Haut – put entreprendre cette marche glorieuse à un moment où tous les moyens audiovisuels étaient largement répandus dans le pays, en sorte que ceux qui n’eurent pas le privilège d’y participer en personne purent suivre l’événement chez eux. Les tout jeunes partagèrent tes sentiments d’ardent patriotisme et se remémorent avec ferveur ton épopée.
Voilà, cher Peuple, qui nous donne la meilleure assurance sur l’avenir du patrimoine national, légué par nos aïeux et que nous confions, à notre tour, à nos descendants.
Les dix années qui nous séparent de la Marche Verte ont été particulièrement chargées. Elles ont été marquées, non par l’improvisation et les pulsions, mais par l’endurance, la diplomatie active et la politique habile et avisée. Nulle hésitation ne les a entachées.
Des années, donc, de vigilance où nous avons fait face, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, à des choix difficiles. Par la Grâce de Dieu, ces années ont été fécondes : années d’épopées, années d’examen – non d’épreuve –, années d’un immense élan qui a fait converger nos volontés soudées en vue de la réalisation de nos aspirations communes.
Durant cette décennie, cher Peuple, nous avons usé de tous les moyens en vue d’éviter l’action militaire et de faire prévaloir la raison, la patience, le dialogue et le bon voisinage.
Malgré notre bonne volonté, nous nous vîmes dans l’obligation d’entrer en action, exprimant ainsi, et à la face du monde, que pour nous, le dialogue ne saurait être synonyme de faiblesse ou d’hésitation. Le monde put savoir, grâce à Dieu, que les ressources marocaines – et en premier lieu le potentiel humain – sont considérables.
Tu as démontré, cher Peuple, ta capacité d’agir une fois tes décisions prises après recours à la divine inspiration. C’est ainsi que civils et militaires, à tous les niveaux, dans chaque enceinte et foyer, ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour qu’il soit à jamais établi que le peuple marocain peut accepter toutes sortes de compromis sauf quand il s’agit de son unité et de son intégrité territoriale.
Au bout de quelques années, nous avons obtenu, au plan militaire, une totale maîtrise du terrain. Nous avons récupéré notre Sahara grâce à notre endurance, à nos sacrifices. Car le soldat marocain a été de tout temps notre fierté. Sur le terrain, nous nous sommes comportés avec doigté, méthodologie et selon une stratégie étudiée en fonction de la configuration du désert, de son climat, de son immensité et du comportement singulier d’un ennemi qui fuit sournoisement le combat.
Notre maîtrise, cher Peuple, s’est étendue au terrain politique. Nous avons démoli l’argumentation de nos ennemis et adversaires. Depuis 1981, l’initiative appartient constamment au Maroc. En 1981-82, le Maroc a décidé d’accepter le référendum. En 1982, il a établi, avec ses frères africains, les modalités d’application de la consultation.
Nous avons eu, depuis, deux surprises. La première, énorme, a été lourde de conséquences non pour nous mais pour l’Afrique : l’OUA a renié non sa charte mais, bien plus, sa loi fondamentale, qu’elle a violée, oubliant que semer la division et encourager le séparatisme dans le Maroc authentique équivaut, en fait, à les susciter dans d’autres pays africains.
De même, l’Organisation de l’Unité Africaine, par son attitude, a créé un dangereux précédent : à cet égard, un événement tout récent, survenu dans un des pays non alignés qui a reconnu les mercenaires, vient corroborer cette vérité. Dans ce pays, une de ses provinces importantes réclame – nous l’avons appris hier – non l’autonomie interne mais l’indépendance totale. C’est dire qu’il est du devoir de chaque responsable de ne s’aventurer dans de semblables attitudes qu’après avoir mûrement réfléchi à leurs conséquences inéluctables, aux précédents qu’elles contribuent à créer.
La seconde surprise est venue lorsque l’OUA a demandé au Maroc de négocier avec ses enfants égarés qui se sont rebellés contre leur patrie. Jamais le Maroc ne s’engagera dans cette voie.
Le Maroc et son premier serviteur ont reçu leur éducation à l’école de Mohammed V, paix à son âme. Nous nous souvenons qu’un jour, la résidence générale exprima le désir de négocier avec Sa Majesté Mohammed V au sujet de la constitution et de l’autonomie interne. Mohammed V rejeta fermement toute idée de négociation de ce genre. Il s’en expliqua ainsi : “Je ne négocie pas avec la résidence générale. Le Résident général est l’un de mes ministres.” On sait que dans l’esprit du protectorat, le Résident général était le Ministre de la Défense et des Affaires étrangères. Le Souverain dit encore : “Je ne peux entrer en négociation qu’avec un égal”.
Telle a été l’école qui nous a formés. Comment pourrions-nous, dès lors, nous qui refusâmes de négocier avec l’étranger – dépositaire de l’administration et non de la souveraineté du Maroc – accepter de nous asseoir à la table de négociation avec des Marocains égarés et séparatistes ?
Mais nous ne fermons pas, pour autant, la porte au dialogue. C’est ainsi que nous avons engagé des pourparlers avec nos voisins, tant au niveau du sommet qu’au niveau d’émissaires. Nous avons, à cet égard, fait montre du maximum de souplesse. Mais lorsque nous nous sommes rendu compte que le cadre du sérieux dans lequel devaient impérativement s’inscrire nos discussions et pourparlers n’était pas respecté par l’autre partie, nous avons préféré geler – non rompre – le dialogue, en attendant que le partenaire fasse preuve de plus de sérieux.
Nous ne nous sommes pas contentés de cela. Nous avons toujours dit accepter la médiation de quiconque en exprimait le désir. Ainsi, nous avons immédiatement accepté l’offre de médiation de Sa Majesté le Roi Fahd d’Arabie Saoudite. Nous avons proposé à Sa Majesté de nous rencontrer en sa résidence de Marbella, considérée comme territoire saoudien, et d’y tenir un sommet.
Nous avons également dit notre disposition, à tout moment, à la discussion, à la réconciliation, à l’arbitrage, tant nous sommes persuadés de la solidité de notre dossier. L’autre partie a opposé un refus à nos offres.
Ainsi, à chaque fois qu’il était possible qu’une ou plusieurs personnes fussent témoins physiques et oculaires à même de confronter la thèse marocaine et celles des autres, le dialogue ne pouvait s’instaurer, la partie concernée s’obstinant à préférer le dialogue à deux pour mieux ajouter, retrancher et dénaturer les faits à son aise.
C’est alors que nous avons résolu de mettre un point final à ces manœuvres et à la perplexité de l’opinion internationale, et de mettre à l’aise nos amis et alliés quant à nos positions et nos bonnes dispositions. Nous envisagions de nous rendre personnellement aux Nations Unies et d’y prononcer un discours. Or, les circonstances ont empêché ce projet de se réaliser. Nous avions pensé nous faire représenter par le Prince Héritier, mais il était encore en convalescence après son accident, heureusement sans gravité. C’est M. Karim Lamrani, notre Premier ministre, qui a donc lu notre message aux Nations Unies.
Dans ce message, il y a deux points importants :
Premièrement, nous décidons immédiatement un cessez-le-feu unilatéral, sauf cas de légitime défense.
Deuxièmement, nous sommes prêts, dès le début de l’année prochaine, à organiser le référendum sur nos territoires sahraouis et nous demandons au Secrétaire général de l’ONU de prendre les mesures appropriées à cette fin, avec l’assistance des bonnes volontés parmi les organisations régionales.
Pourquoi avons-nous fait de telles propositions aux Nations Unies ? Tout simplement parce que nous estimons que l’OUA ne peut être juge et partie. Or, elle a déjà tranché en acceptant en son sein la prétendue république. Dès lors, elle s’est exclue du rôle de juge impartial. Nous considérons que notre position est saine et découle avant tout d’une logique fondée sur le droit et les usages internationaux.
Des obstacles se sont dressés, depuis. Par exemple, on a dit que le référendum ne serait pas valable si l’armée et l’administration marocaines ne quittaient pas le Sahara. Nous avions déjà entendu cette fable à Nairobi, en 1981 et 1982. À l’époque, nous répondîmes, arguments à l’appui, convainquant nos amis et faisant réfléchir nos adversaires, en faisant clairement ressortir qu’il n’était pas concevable de faire sortir du Sahara l’administration et l’armée marocaines lors du référendum.
À nouveau, nous entendons de tels propos à l’ONU, et nous répondons qu’il n’a jamais existé de précédent dans ce domaine, qu’un référendum ait été organisé dans quelque pays que ce soit en l’absence de l’appareil qui y existe et qui a pour mission d’assurer la sécurité et la liberté de ses habitants.
Et même si nous ne considérions pas le Maroc et le Sahara comme une seule entité, ou si nous ne nous considérions – ou n’étions considérés – que comme un État administrant le Sahara mais n’y exerçant pas la souveraineté, il ne serait pas concevable d’envisager un tel retrait. Il n’existe pas d’exemple de puissance administrante qui retire ses forces du territoire du pays qu’elle administre sous prétexte de référendum, alors qu’elle a l’obligation d’y protéger les personnes et les biens, et ce même durant le déroulement du référendum.
En conséquence, il est absolument exclu que le Maroc accède à une telle demande et accorde une concession de cette nature, qui serait tout à fait déraisonnable et contraire à la jurisprudence internationale en la matière.
Mais, admettons que le Maroc cédât sur ce point, il ne pourrait le faire qu’à condition de doter les habitants des mêmes armes – artillerie, missiles et divers armements – dont disposent leurs adversaires. Ce serait instaurer la guerre civile aux confins de trois pays africains : la Mauritanie, l’Algérie et le Maroc dans ses anciennes frontières ; sans oublier les îles Canaries et l’Espagne, qui comptent rejoindre l’OTAN ; ni les conséquences inéluctables pour le Mali et le Sénégal, limitrophes de la Mauritanie.
Si c’est là ce que la communauté internationale désire, eh bien, soit… Ils disent disposer de quinze mille hommes armés. Pour notre part, nous en aurons cent mille avec les mêmes armes. Nous verrons bien alors comment les choses vont évoluer si la communauté internationale et ses instances politiques veulent éteindre le feu en l’attisant : qu’elles assument alors leurs responsabilités.
J’espère néanmoins que nous n’en arriverons pas là… La mesure, en effet, est comble, en fait de désinvolture, d’absence de logique et de manque de clairvoyance.
Cher Peuple,
En ce glorieux jour, nous sommes fiers – nous qui sommes ton médecin – de te confirmer que tu es en excellente santé, ce qui, grâce à Dieu, incite à davantage d’optimisme.
Ainsi que tu te le rappelles, lors de notre visite dans nos chères provinces sahariennes – visite que nous nous remémorons avec une vive émotion –, nous t’avons fait part de nos préoccupations concernant la défense nationale et les besoins du Sahara.
Le 9 juillet dernier, nous t’avons annoncé le lancement de l’emprunt national pour les besoins du Sahara et en avons précisé les conditions. Eh bien, cher Peuple, bien qu’il ne soit pas courant qu’un Chef d’État s’exprime de cette manière, nous disons : nous avons l’honneur de te dire que, grâce à Dieu, tu as battu tous les records.
Nous sommes, en effet, parvenus à 165 milliards de centimes, les personnes physiques – cela est très important – ayant souscrit pour 35 %, le reste l’étant par les sociétés et les banques.
Cette large participation à l’emprunt national apporte la preuve de ta confiance dans les destinées du pays et dans sa monnaie, comme de ta bonne santé.
C’est d’autant plus remarquable que cet emprunt était précédé de l’emprunt lancé en mars dernier et qu’il a été décidé au lendemain des vacances. Or, en cette période, les gens dépensent beaucoup et doivent se préparer à faire face aux charges consécutives aux rentrées scolaire et universitaire. Malgré cela, en moins de trois mois, 165 milliards de centimes ont pu être empruntés.
Voilà pourquoi, cher Peuple, nous avons dit avoir l’honneur de le constater. Cette opération atteste ta santé physique. Ceux qui s’imaginent t’avoir épuisé et rendu exsangue se sont trompés sur toute la ligne et, en s’obstinant à le penser, ils se tromperont éternellement sur ton compte.
Qu’ils sachent que c’est en parfaite connaissance de cause que nous avons fait le serment de la “Massira”, serment par lequel nous avons ensemble mis dans la balance nos âmes, nos biens, notre honneur, nos aspirations et notre martyre.
Cher Peuple,
Nous n’aurions pu organiser ces festivals grandioses pour l’anniversaire de la Marche Verte s’il n’y avait la bravoure et l’héroïsme du soldat marocain. Il est – comme nous te l’avons dit à Laâyoune – le Marocain nouveau que nous avons découvert aux confins du Sahara.
Ce nouveau jeune Marocain estime que les jours qu’il vit actuellement sont en quelque sorte un bonus, car en revêtant l’uniforme, il se considérait déjà comme martyr.
Voilà le modèle nouveau de la jeunesse marocaine qu’il nous a été donné de découvrir, avec l’émotion la plus vive et une fierté sans pareille.
Cher Peuple,
Sache que ta marche a été la plus grande marche depuis l’aube de l’histoire. Nous avons consulté les livres d’histoire au moment d’entreprendre la Massira. Ni Alexandre le Grand, ni Gengis Khan, ni Attila, ni César ne rassemblèrent, en marche pacifique, trois cent cinquante mille hommes.
Tu dois aussi savoir que ta marche est unique. Elle s’est effectuée sans armes. Aucun élément de la sécurité, de la Gendarmerie Royale ou des Forces auxiliaires qui l’encadraient – cela était visible sur les écrans de télévision qui transmettaient l’événement – n’avait la moindre arme sur lui.
Et il convient enfin de savoir qu’une charge supplémentaire – et non des moindres – pesait sur la marche : à savoir la présence de l’élément féminin. Certes, la femme doit être présente en de telles circonstances pour son rôle essentiel, car elle donne les encouragements nécessaires aux patriotes. Mais des égards et une attention particuliers lui sont dus.
Tous ces éléments, cher Peuple, te permettent – sans entamer ton humilité devant le Très-Haut – de te sentir digne de ta marche dans toutes ses phases, au départ comme à l’arrêt.
Tu as fait preuve de discipline tant au moment du lancement qu’à celui où tu as reçu l’ordre de t’arrêter et de faire halte.
Le planificateur de ta marche fut inspiré par Dieu, le Tout-Puissant. Mais c’est toi qui as entrepris la marche. Car tu n’as fait que poursuivre une marche glorieuse commencée il y a plus de 1 400 ans.
Cela est vrai depuis que le Maroc éternel est en marche, bien avant ta naissance, et cela se poursuivra jusqu’à la fin des temps, signe indélébile de force, de confiance, d’esprit de sacrifice, de dialogue, de respect de l’ordre, de l’interlocuteur et de soi, de vaillance, d’honneur et de grande dignité.
Dieu t’a doté de ces belles qualités : nous élevons vers Lui nos prières pour te les faire conserver.
Nous sommes certains que tu resteras fidèle à toi-même tant que tu auras sous les yeux l’image impérissable du passé glorieux, gage de ton avenir radieux, prospère et heureux. »







