QUAND MOHAMED V RAPPELAIT À FRANCO LES DROITS DU MAROC SUR IFNI
- 26 juil.
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Dans les mois qui suivent l’indépendance du Maroc, l’un des grands défis diplomatiques et souverainistes auxquels fait face le Royaume concerne la présence militaire espagnole résiduelle sur son territoire, ainsi que la question de la restitution des zones encore sous domination coloniale, notamment le territoire d’Ifni, que l’Espagne considère encore comme relevant de son domaine.
À travers cette échange de lettres officiel entre SM le Roi Mohammed V et le général Franco, datant d’octobre et décembre 1960, on mesure avec acuité la fermeté du Maroc dans la défense de sa souveraineté et la clarté de sa position vis-à-vis de l’occupation étrangère.
La lettre de Franco, datée du 16 octobre 1960 depuis le Palais du Pardo, révèle la volonté espagnole de conditionner l’évacuation militaire à d'autres considérations, notamment aux traités coloniaux passés, et évoque même l’idée d’« échanges territoriaux » comme solution de compromis. Cette approche, rejetée avec diplomatie mais fermeté par SM le Roi Mohammed V, témoigne de l’intransigeance du Souverain quant au respect des droits historiques du Maroc et de sa volonté d’obtenir une évacuation immédiate, sans contrepartie ni marchandage sur la souveraineté.
La réponse royale du 13 décembre 1960 est un exemple de diplomatie lucide, digne et résolue, dans le respect des relations bilatérales, mais sans transiger sur les principes fondamentaux de l’indépendance nationale et de l’unité territoriale du Royaume.
Ces lettres sont aujourd’hui des documents d’archives majeurs qui permettent de rappeler que la libération du territoire national fut un processus progressif, mené avec intelligence, constance et patriotisme, guidé par la vision de Feu SM le Roi Mohammed V, que Dieu ait Son âme.
Palais du Pardo, 16 octobre 1960
À Sa Majesté le roi Mohammed V
Majesté,
J’ai reçu votre lettre168, que j’ai personnellement examinée avec la volonté constante de rechercher des solutions viables, susceptibles de satisfaire autant que possible vos souhaits, tout en rapprochant nos deux peuples.
Nous avons fait preuve de notre bonne volonté au cours des dernières années par notre soutien à la cause de Votre Majesté avant l’indépendance, par la restitution immédiate de certains territoires et par la réduction progressive de nos effectifs, qui sont passés de 60 000 hommes à moins de 3 000. Ces derniers sont toujours stationnés dans des logements et des bases à proximité de nos Places qui, d’une manière générale, existaient déjà avant l’instauration du protectorat.
Cependant, toute la bonne volonté que nous manifestons en faveur du rapprochement n’aurait aucune importance si la propagande des partis devait continuer à entretenir les passions et à spéculer sur des aspirations expansionnistes, qui ne sont pas réalistes et vont à l’encontre des intérêts légitimes de vos voisins.
J’ai convoqué mes collaborateurs pour analyser l’état des négociations en cours, et je considère normal que les représentants de l’administration espagnole aspirent à ce que les obligations contractées dans les accords établis lors de la déclaration d’indépendance soient mises à exécution, et que les traités et conventions que nous établissons aient une validité reconnue par les deux partis.
En ce qui concerne la question d’Ifni à laquelle Votre Majesté fait référence, elle comporte deux aspects distincts : d’une part, la situation générale du territoire selon sa conception légale, qui découle de traités solennellement souscrits par vos prédécesseurs, et d’autre part la dégradation de la situation qui a suivi la proclamation de l’indépendance, avec l’attaque de la soidisant Armée de libération ; alors que les troupes espagnoles évacuent le territoire marocain, des détachements des Forces royales occupent des postes dans la démarcation d’Ifni, qui appartient légalement à l’enclave du domaine espagnol.
Je comprends le regain d’intérêt, les souhaits, ainsi que les arguments que vous exposez pour soutenir vos revendications sur ce territoire. Cependant, à mon tour, j’aimerais que vous compreniez que nous n’avons pas créé récemment cette situation de légalité, mais qu’elle constitue 168 Le roi du Maroc et F. Franco ont déjà échangé plusieurs lettres en 1960. Elles portent toutes sur Ifni et la question des troupes espagnoles stationnées au Maroc. La dernière lettre du roi, à laquelle F. Franco fait allusion ici, date du 17 août 1960.
Mohammed V y écrivait notamment (en espagnol) : « Nous considérons la question d’Ifni, à laquelle Votre Excellence a fait référence, comme indépendante de la précédente [la présence militaire espagnole], et Nous ne voyons aucune raison de la lier à l’enjeu de l’évacuation complète et définitive des troupes espagnoles. Néanmoins, Nous Nous proposons de rechercher avec Votre Excellence une solution dans l’amitié et la compréhension. En effet, Ifni fait partie intégrante du territoire marocain. Nos preuves, très solides et convaincantes, sur son caractère marocain ne souffrent d’aucune discussion. Il n’est donc guère étonnant qu’Ifni suscite Notre intérêt et soit devenu l’une des préoccupations principales de Notre opinion publique, tant que ce territoire n’aura pas réintégré la patrie marocaine. »
Lettre disponible en DAR, A21-029.
1051 une situation de droit antérieure, entérinée par des traités internationaux successifs, signés entre nos deux nations, et dont l’Espagne a hérité des générations antérieures. Le fait que l’on ait tenté de nous arracher ce territoire par la violence a ravivé parmi les Espagnols la conviction de leur bon droit.
À ces réalités historiques, qui se sont consolidées au fil des ans, s’ajoutent pour l’époque contemporaine la nécessaire association entre nations voisines, comme c’est le cas pour notre part avec le Portugal, et comme cela devrait également être le cas avec le Maroc. Cependant, dans ma quête d’une solution satisfaisante à ce problème très épineux et difficile, pour donner satisfaction à vos aspirations, j’ai pensé que nous pourrions trouver des compensations territoriales ailleurs. Bien que de moindre étendue, ces territoires pourraient, avec un sacrifice minimal pour le Maroc, justifier devant le peuple espagnol un ajustement général des territoires.
Je ne vois pas d’autre solution que celle que je vous expose, et celle-ci devra de toute façon être soumise à l’approbation de nos Cortes. Je suis par ailleurs confiant dans le fait que le progrès dans l’association entre nations voisines, rendu indispensable par le monde actuel, nous permettra de surmonter ces susceptibilités nationales pour vivre en pleine harmonie et coopération, comme nous l’avons fait tant de fois à travers l’histoire.
Je saisis cette occasion pour réitérer à Votre Majesté les témoignages de considération et d’affection que nous ressentons, tout comme notre peuple, pour votre personne et le noble peuple marocain.
F. Franco.
13 décembre 1960
Louanges à Dieu seul. Rien ne dure sinon Son royaume
Mohammed V, roi du Maroc
à Son Excellence le généralissime Francisco Franco, chef de l’État espagnol
Votre Excellence,
Nous avons bien reçu votre réponse datée du 16 octobre 1960 à notre lettre du 17 août concernant le retrait des troupes espagnoles de notre territoire national. Nous ne pouvons qu’exprimer notre grande déception quant au retard apporté à la résolution de la question de l’évacuation.
Nous confirmons à Votre Excellence notre point de vue, tel qu’exposé dans notre lettre mentionnée ci-dessus, selon lequel l’évacuation est un sujet en soit et qu’il est impossible de justifier son rattachement à un autre problème.
Puisque la question de la présence de troupes étrangères sur notre territoire ne peut plus être repoussée, dans la mesure où leur présence entre en contradiction avec notre souveraineté et notre indépendance, nous demandons à Votre Excellence de nous informer dans les plus brefs délais des mesures que vous avez prises pour le retrait immédiat des troupes espagnoles de notre royaume, sans condition.
Nous attirons l’attention de Votre Excellence sur les conséquences désastreuses qui ne manqueront pas d’affecter les relations entre nos deux pays si le gouvernement espagnol devait continuer à retarder cette évacuation, qui est l’un de nos droits indiscutables et qui ne peut en 1052 aucun cas faire l’objet d’une transaction, ou être subordonnée à la résolution préalable des autres problèmes qui persistent entre nous.
En ce qui concerne la question des zones marocaines qui se trouvent encore sous autorité
espagnole, nous sommes déterminé à ouvrir leur dossier, et désireux d’engager des discussions à ce sujet, afin de réaliser notre droit et de permettre la restitution des territoires injustement séparés de notre royaume.
Nous sommes convaincus que la clairvoyance et la sagacité qui vous caractérisent, ainsi que notre ferme désir de consolider les liens d’amitié et de bon voisinage entre nos deux pays vous inciteront à accélérer le processus d’évacuation et sa réalisation, ainsi qu’à examiner avec intérêt les autres problèmes qui restent en suspens, en préservant notre amitié ancienne et en favorisant la compréhension et la collaboration entre nos deux peuples.
Soyez assuré, Excellence, de nos sentiments d’amitié et d’estime.
Fait en notre Palais royal de Rabat le 24 joumada 2 1380, correspondant au 13 décembre
1960.












Bravo pour cet article, Brahim.
On en apprend encore sur l'histoire de notre pays, et sur les actions de notre feu roi Mohamed 5, Allah yarhmou.