La caïda Chamsi az-Ziwawiya fait partie des figures féminines passées qui ne peuvent qu'intriguer l'historien d'aujourd'hui. En effet, celle-ci a réussi à devenir caïda à une époque où les femmes sont considérées comme inaptes à jouer un quelconque rôle politique à cause de leur soi- disant candeur et leur émotivité. Malheureusement, les chroniqueurs de l'époque n'ont mentionné cette leader que dans le contexte du conflit politique opposant les deux fils du sultan mérinide Abou Hassan ben Othman, soit Abou Malek et Abou Abd er-Rahmane, autour de l'an 1337. On ignore donc tout sur la nature du pouvoir de Chamsi.
Rappelons que quand Abou Hassan accède au pouvoir en 1331, la dynastie mérinide montre de nombreux signes d'affaiblissement, dont les luttes de succession, les révoltes populaires, l'autonomie croissante des tribus du Rif et des tensions insurrectionnelles à Marrakech et dans le Souss. Cependant, en l'espace de quelques années, Abou Hassan réussit à stabiliser son pouvoir et à élargir son territoire en conquérant Tlemcen en 1337. De surcroît, tout le long de son règne, il tient à faire participer ses fils à la gestion des affaires publiques. Aussi il dote chacun d'eux de sa propre armée et de son propre gouvernement. De même, il les invite régulièrement à participer à ses conseils administratifs et gouvernementaux, si bien qu'ils finissent par devenir ses bras droits. Mais un beau jour, alors que le sultan tombe malade, Abou Abd er-Rahmane conçoit le projet d'accaparer le pouvoir en formant des alliances avec les vizirs et conseillers de son père. Quand ce dernier apprend la nouvelle, il essaie de réconcilier les deux frères. Or Abou Abd er-Rahmane préfère s'enfuir. Cependant, le sultan ayant réussi à le retrouver l'emprisonne aussitôt à Oujda et il congédie les employés de son fils, y compris ibn Hidour, un boucher qui ressemble drôlement au prince.
Jouant sur cette ressemblance, ibn Hidour s'est mis en tête de se faire passer pourle prince Abou Abd er-Rahmane. Dans ses périples, il échoue dans la région du rif actuel, et plus précisément parmi les Bani Yznaten, à Ziwawa, tribu dont la caïda est Chamsi. Comme cette tribu ne s'est pas soumise au pouvoir central, la caïda Chamsi accueille le prétendu prince et donne l'ordre pour qu'on lui porte allégeance. Bientôt, la nouvelle parvient au sultan Abou Hassan. Sans tarder, il dépense une somme importante d'argent auprès des Bani Yznaten pour que ceux-ci lui livrent l'homme qui usurpe l'identité de son fils. De prime abord, la caïda Chamsi refuse d'accéder à la demande du sultan. Cependant, quand elle découvre la véritable identité d'ibn Hidour autour de 1339, elle le chasse de sa tribu.
Notre intérêt pour Chamsi vient du fait que celle-ci a réussi à devenir caïda malgré les
normes patriarcales qui limitent souvent le rôle des femmes à la sphère privée. De plus, elle ne s'est pas soumise au sultan, préservant de la sorte l'autonomie de sa tribu. Chamsi n'a-t-elle jamais eu à défendre militairement cette autonomie ? S'il s'avère impossible de répondre à cette question avec certitude, les luttes fréquentes entre les tribus voisines pour les frontières et les pâturages suggèrent que notre leader a eu également à faire ses preuves en tant guerrière à un moment ou un autre de son règne. Certes, selon les historiens, la caïda Chamsi a eu une douzaine d'enfants, et donc de nombreux descendants, situation qui lui aurait permis d'avoir de l'ascendant au sein de sa tribu. Mais à notre avis, ceci n'explique pas tout à fait le pouvoir dont elle a joui, puisque quand elle a donné l'ordre aux membres de sa tribu de porter allégeance au prétendu prince, Chamsi a été écoutée, y compris par les habitants des régions environnantes. En fait, il semble que celle-ci a réussi à être l'une des rares caïdas dans le monde masculin des caïds grâce à ses aptitudes personnelles.
Notons enfin que le nom de la caïda Chamsi n'est mentionné seulement lorsqu'il concerne un conflit qui oppose les membres de la famille royale, c'est-à-dire ceux ayant été jusqu'à une date récente les seuls sujets dignes de l'histoire officielle. Par conséquent, une question s'impose : combien d'autres femmes gisent dans l'oubli des chroniques historiques officielles ?
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