Elle a allié pouvoir politique et aura spirituel, grâce à son savoir religieux. Considérée comme une saliha, Lalla Aziza Seksawiya a marqué le XIVe siècle en se confirmant comme une médiatrice indispensable entre les Seksawa et les Mérinides (1248 – 1465).
Les femmes du XIVe siècle ont-elles pu s’imposer sur la scène publique en accompagnement les transformations politiques de leur temps ? La réponse est oui et le vécu de Lalla Aziz Seksawiya le confirme. Grande résistante aux Mérinides (1248 – 1465) qui ont tenté d’envahir les terres des siens, puis médiatrice entre ces derniers et le pouvoir central, c’est à cette dirigeante de premier front que revient l’introduction des coutumes et rites soufis au sein des tribus des Seksawa, dans le Haut-Atlas.
En effet, Lalla Aziza est considérée par les locaux comme «la grande sainte» et la protectrice des lieux. Si sa date de naissance n’est pas définie, sa figure reste en tout cas fêtée à travers les siècles. «Aussi bien le nom de Seksawa n’est nullement patronymique, la rivière qui fait l’unité du pays porte le nom même de ses habitants : Iseksawen», précise par ailleurs l’archéologue et historien français Henri Terrasse, dans «Au coeur du monde berbère : les Seksawa au Grand-Atlas marocain».
Lalla Aziza Seksawiya a tiré ses enseignements, à renforcé sa conscience politique et enrichi son savoir religieux de cet environnement, où l’on n’agit pas à travers des institutions permanentes, mais surtout par des rassemblements qui maintiennent l’unité de l’ensemble Seksawa, rappelle le chercheur, en allusion aux traditionnelles assemblées populaires de la région, où les habitants débattent de la gestion publique. «Ce fut sans doute pour avoir marqué l’introduction du soufisme dans cette vallée reculée et avoir incarné l’esprit d’indépendance des Seksawa qu’elle est restée la grande sainte de ces paysans aussi attachés à leurs libertés qu’à leur vie religieuse», écrit Henri Terrasse.
D’ailleurs, Lalla Aziza Seksawiya a précocement manifesté son pouvoir religieux, dès son jeune âge, souligne pour sa part la chercheuse maroco-canadienne Osire Glacier, qui remonte les origines de cet aura, dans son ouvrage «Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui, la résistance et le pouvoir au féminin» (Editions Tarik, Casablanca, 2013).
La croyance accompagne ainsi toutes les étapes de la vie de Lalla Aziza et perdure après sa mort. De son vivant, elle a préféré la solitude et a consacré la majorité de son temps à la prière, tandis que son travail a miraculeusement toujours été accompli, note encore Osire Glacier. Bien qu’attirante et que plusieurs hommes se soient empressés de demander sa main, elle a refusé à maintes reprises. Un jour, l’un de ces prétendants la surprend dans un chemin sans issue. Au moment où il s’apprête à la saisir, «elle disparaît dans la montagne», confirmant davantage sa sainteté au-delà du pays des Seksawa.
En 1362, Lalla Aziza fait la rencontre du juriste, mathématicien et historien Ibn Qunfudh (1340 – 1408), concrétisant ainsi l’espoir du scientifique de croiser un jour le chemin de cette «dame princesse» qu’il appelle volontiers «sainte Aziza Seksawiya». Il devient le témoin oculaire de ses qualités fédératrices, qui font d’elle une véritable dirigeante respectée par les hommes comme par les femmes, sans pour autant affirmer un pouvoir autoritaire dominateur. «Quand elle parle publiquement, elle est d’une grande éloquence, aptitude qui lui permet de réconcilier avec succès les groupes en conflit», écrit Osire Glacier.
Dans ses dernières volontés, Lalla Aziza a demandé à ce que son corps soit porté par une mule et inhumé à l’endroit où la bête s’arrêtera, ce qui s’est produit une fois dans la vallée des Seksawa. «Six siècles plus tard, le tombeau de Lalla Aziza est encore un lieu de pèlerinage, de prières et de recueillement», rappelle l’historienne.
Comments