LETTRES D'ABDICATION DU SULTAN ABDELHAFID
- 29 juil.
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Le 11 août 1912, soit le 27 šaʿbān 1330 de l’Hégire, marque un tournant majeur dans l’histoire moderne du Maroc. Ce jour-là, le Sultan Abdelhafid abdique officiellement, cédant le pouvoir à son frère Moulay Youssef dans un contexte de tensions extrêmes après la signature du traité de protectorat quelques mois plus tôt.
Les deux lettres présentées ici adressées respectivement au Grand Vizir Muḥammad al-Muqrī et au résident général Lyautey sont des documents historiques d’une rare intensité. Elles témoignent à la fois de la fatigue physique et morale d’un souverain accablé par les circonstances, et de la dignité avec laquelle il choisit de transmettre le flambeau du Makhzen à son successeur, dans le respect des principes religieux, politiques et sociaux qui fondent la monarchie marocaine.
Loin d’un effacement, cette abdication s’inscrit dans la continuité de l’institution monarchique, garante de l’unité du Royaume malgré les défis imposés par la domination coloniale. Ces lettres, rédigées dans un style sobre mais profond, méritent d’être lues comme un acte politique et spirituel majeur, illustrant la résilience de l’État marocain à travers l’une de ses transitions les plus critiques.
Les lettres datent du 27 ša’bān 1330, soit le 11 août 1912, mais le sultan Abdelhafid n’abdique véritablement que lendemain. La première lettre ressemble à un brouillon (avec des ratures), mais il n’est pas certain qu’il y ait une version plus finalisée ; le second document est marqué d’un sceau.
Première lettre au Grand Vizir Muḥammad al-Muqrī
Louange à Dieu seul. Que Dieu accorde sa grâce à notre Seigneur et Maître Muḥammad et à sa famille.
À Notre cher serviteur, le Grand Vizir, le bon conseiller, Haǧǧ Muḥammad al-Muqrī, que Dieu le guide, et que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur lui.
Ensuite :Vous n’ignorez pas la fatigue et les difficultés que Nous avons éprouvées dernièrement au cours de circonstances difficiles au point que notre corps en a été affecté, ce qui Nous empêche d’accomplir les devoirs [wāǧib] associés aux droits de la royauté [mulk] et à l’égard de nos sujets [al-ra‘iyya].
Pour cette raison, nous avons choisi le repos pour Nous-mêmes, et avons pris la décision de renoncer au trône de la royauté [al-tanāzal ‘an al-‘arš al-mulk] pour des raisons de santé et des symptômes personnels et privés qui ont trait à Notre santé corporelle.
Cela Nous irait si l’un de Nos frères devait être choisi pour s’occuper des affaires des musulmans, que vous agréerez et qui aura l’accord de la communauté [al-umma]. Que Dieu choisisse celui qui est bénéfique pour les musulmans.
Salut !
Fait le 27 šaʿbān, le très béni, de l’année 1330.
Deuxième lettre au général Lyautey
Louange à Dieu seul. Rien ne dure sinon Son règne.
[Petit sceau du sultan Abdelhafid]
À l’excellent, l’ami sage, le résident général, le général Lyautey.
Nous ne cessons de demander de vos nouvelles et vous espérons en bonne santé.
Par la présente, Nous souhaitons faire savoir à Votre Excellence amie que Notre Majesté chérifienne est satisfaite de cœur et contente d’âme. Elle tient à vous exprimer toute sa gratitude pour la bienveillance dont vous avez fait preuve à Son égard durant ces circonstances imprévues.
Nous continuerons de faire le plus bel éloge de la courtoisie, de la prévenance et de la bienveillance que Nous avons rencontrées auprès de vous. Vous avez suivi la voie de l’affection et de la sincérité en toute circonstance, et de l’attachement est né entre nous.
Mais Dieu a décrété notre séparation, puisque nous avons décidé de renoncer au pouvoir [al-tanāzal ‘an al-mulk] pour des raisons de santé qui touchent à Notre intérêt personnel. Nous espérons que vous le comprendrez en toute vérité.
Quoi qu’il en soit, Nous garderons de vous le meilleur souvenir, et il en sera de même de votre côté en ce qui concerne Notre Majesté élevée par Dieu.
Cela Nous convient si la communauté [al-umma] s’accorde sur le choix de Notre frère Moulay Youssef pour prendre en charge les affaires. Que Dieu choisisse celui qui soit utile à l’élite et au commun.
Fait le 27 šaʿbān, le très béni, de l’année 1330.











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