NOVEMBRE 1911, ACCORD ENTRE LE SULTAN ABDELHAFID ET LA FRANCE
- 21 juil.
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Dans ce texte, le sultan Abdelhafid pose ses conditions pour un accord avec la France, alors que la puissance impériale négocie au même moment le sort du Maroc avec l’Allemagne. Ce texte n’est pas la version définitive, qui a connu quelques légers changements, mais donne à voir la position du sultan. Kaddour ben Ghabrit sert d’intermédiaire. Traduction par les services français.
1. Le prestige de l’Empire, son respect et sa considération, ainsi que le respect dû aux coutumes particulières et générales doivent rester intacts comme par le passé, sans qu’aucune atteinte ne soit portée à leur constitution. Le gouvernement français aussi n’ignore pas qu’il y a près de quarante [sic, pour quatre] siècles que le pouvoir se trouve entre les mains de la famille impériale allouite [sic] et qu’il y a donc lieu de lui conserver ce prestige, qu’elle possède depuis plusieurs générations.
J’attire également l’attention du gouvernement sur le fait que l’Empire marocain, depuis sa conquête, n’a jamais appartenu à un tiers comme colonie et qu’il a toujours joui de son prestige depuis treize siècles ; c’est pour cette raison que la question du Maroc ne saurait être comparée à une autre région pour la différence qui existe entre un empire de fondation et une colonie administrée.
2. Conformément à la promesse faite par le gouvernement dans l’accord particulier en date du 7 Ribei 1329 [7 avril 1911] qui se rapporte à ma personne, aux termes duquel le pouvoir après moi revient à mon héritier que je désignerai, etc…, je désire qu’il soit ajouté ceci : Si par faiblesse ou par lassitude je cède le pouvoir à mon héritier, je désire que le gouvernement lui prête son concours en l’installant sur le trône de ses pères et ancêtres et ainsi de suite. Si l’héritier du trône ne possède pas de descendant, le pouvoir doit revenir à ses frères consanguins et non à d’autres.
3. Si je cède le pouvoir à mon héritier, j’aurai la liberté de résider où cela me plaira, soit sur le lieu même où se trouve mon héritier, soit ailleurs dans l’empire marocain ou bien dans les villes nombreuses situées dans les colonies françaises ou autres et aussi Médine ou dans d’autres villes de l’islam. Toutefois, le gouvernement doit me faire entourer d’égards particuliers, de prestige et de considération si je choisis pour ma résidence la France ou une de ses colonies.
4. Les coutumes impériales exigent que l’héritier chérifien doit se mouvoir dans l’intérieur du pays pour rendre compte de la situation du peuple. Il reste entendu que cette coutume ne sera pas modifiée. Chaque fois que le Sultan se dispose à quitter une région pour une autre, conformément à l’usage, aucun obstacle ne devra se dresser devant lui.
5. Au cas où je voudrais visiter des villes étrangères, j’entreprendrais le voyage après m’être mis d’accord avec le gouvernement français.
6. Nos maisons, c’est-à-dire celles de Marrakech, de Fès, de Meknès et de Rabat ainsi que leurs dépendances et leurs attributs restent respectés comme par le passé sans que quiconque puisse y pénétrer dans l’intérieur ni élever de constructions pouvant donner accès dans leur intérieur, qu’il soit sujet marocain ou étranger.
7. Ma mise en possession personnelle des quelques propriétés indiquées dans la note ci-jointe. Il sera spécifié que ces immeubles sont ma propriété et celle de mes enfants après moi, elles seront abandonnées sans qu’aucune contestation ne puisse s’élever à l’avenir à leur sujet. D’ailleurs, ces immeubles comptent parmi les propriétés makhzen de l’intérieur ou des villes de la côte, en dehors de celles qui m’appartiennent en toute propriété et que je possède soit par acquisition, soit par concession de mon défunt père ou de mon frère.
8. Les propriétés sus-indiquées et qui me sont personnelles ne payeront pas d’impôts qu’elles soient habitées par moi ou louées.
9. Il ne sera élevé aucune contestation au sujet des propriétés concédées antérieurement à mes sujets, sauf celles concédées à Glaoui et au sujet desquelles il y a lieu de maintenir l’accord conclu par les soins du Consul Gaillard et du Taleb El Benghabrit.
10. Si je cède le pouvoir à mon héritier pour l’une des raisons indiquées au paragraphe 2, il m’appartiendra de lui désigner le lieu de son habitation étant donné que les immeubles sont ma propriété et sous ma dépendance.
11. Si Dieu décrète ma mort, ma famille restera honorée, respectée et pourvue de moyens d’existence. Aucune des femmes ne sera renvoyée de sa maison, elle ne sera pas dépouillée de ce que je lui aurai concédé de mon vivant, qu’elle soit affranchie ou esclave, qu’elle ait des enfants ou pas. Le tout sera affranchi après ma mort, aucun mal ne saurait les atteindre. J’aurai la faculté de nommer quatre de mes fils ou plus à titre de contrôleur pour s’occuper de leurs affaires en plus de l’héritier du trône qui aura seul qualité de se rendre compte de leur situation personnelle. Toutefois, celle de mes femmes qui a des enfants aura le droit de rester à mon palais avec celui de mes fils qu’elle choisira, et si elle exprime le désir de quitter le palais dans le but unique de se remarier, elle aura cette faculté, mais sous la surveillance de l’héritier du trône.
12. Les objets qui entrent en douane ou qui en sortent et qui sont au nom du Sultan ne payeront pas de droit ; ils continueront à jouir du même respect comme par le passé.
13. Les cinq millions prévus au dernier accord financier et destinés à mon entretien personnel et à celui de la famille impériale resteront à ma disposition et ne subiront aucune modification dans l’avenir et aucun contrôle ne sera exercé à leur sujet.
14. En plus des cinq millions sus-indiqués, il sera réservé au sultan 2 % sur les travaux publics qui seront introduits dans le pays.
15. Les cinq millions et les 2 % resteront acquis à titre d’héritage à mes enfants après que l’héritier du trône aura prélevé ce dont il aura besoin pour son entretien ; le reste sera partagé entre les héritiers selon la règle du chraâ. Pour ce qui concerne mes propriétés personnelles, le partage sera fait entre mes enfants selon le droit musulman. Toutefois, ils n’auront pas le droit d’aliéner ces immeubles, ils auront seulement la jouissance perpétuelle, jouissance qu’ils exerceront soit eux directement s’ils en sont capables, soit par les soins d’autres. Cette procédure sera suivie avec leurs enfants, etc.
16. Toute affaire ou toute réclamation portée par l’un de mes sujets contre ma personne et se reportant à ma gestion antérieure sera rejetée.
17. Si un membre de la famille impériale se plaint de privations ou d’autres choses et invoque l’intervention d’un agent du gouvernement, sa demande ne sera pas acceptée et sera invité à s’adresser à moi conformément à l’usage consacré. Sa parole ne sera pas écoutée, car ces membres sont sous mon autorité. Le gouvernement ne doit leur donner aucune décoration ni distinction.
18. Le gouvernement voudra bien donner son assentiment pour hypothéquer ou vendre les biens maghzen qui se trouvent dans les villes de l’intérieur, ainsi que les terres de labour qui ne sont pas mentionnées dans la carte dont il a été question ci-dessus, afin que je puisse avec le produit de la vente ou de l’hypothèque payer quelques dettes, achever quelques constructions en cours et construire un hôpital et une medersa pour l’instruction de mes enfants.
19. Le monopole me sera concédé pour l’installation d’une usine électrique à Fès ; cette usine sera tenue de fournir la lumière à quiconque le demandera.
20. Les emplois. La nomination des vizirs, caïd Mechouar, ministre de la guerre et les fonctionnaires de villes tels que cadis, gouverneurs et autres, ainsi que les caïds des tribus proches ou lointaines, reste réservée au Sultan, qui désignera pour ces fonctions les agents qui en sont aptes. De même il révoquera quiconque parmi eux qui ne remplira pas son devoir.
Toutefois, le gouvernement pourra nommer un contrôleur avec tel fonctionnaire qu’il voudra sauf le cadi, les fonctionnaires religieux et le hajib pour lesquels il n’y aura pas de contrôle et cela pour respecter la religion. De même pour le hajib, sa fonction étant en dehors de celle des fonctionnaires ordinaires. Les agents du Makhzen actuellement en fonction seront maintenus à leur poste et ne seront révoqués que sur un motif plausible. La révocation sera prononcée d’un commun accord avec le gouvernement français. De même, les situations militaires ne seront remplies que par des sujets marocains. S’il y a utilité d’augmenter le nombre des instructeurs, aucune objection ne sera faite. Un accord interviendra entre les deux parties pour fixer le traitement des fonctionnaires. Les réclamations judiciaires locales continueront à être tranchées comme par le passé et ne seront pas soumises à d’autres tribunaux.
21. Le droit de grâce me sera réservé.
22. Maintien des coutumes, usages, fêtes religieuses, réjouissances annuelles, secours de Dar El Makhzen. Les frais nécessités par ces fêtes seront payés par le Trésor chérifien. Le cérémonial des fêtes restera intact, aucun empêchement ne sera porté à son sujet.
23. La force française ne s’étendra que dans l’intérieur du pays. Toutefois, si avant l’organisation de la force makhzenienne chérifienne, il y a nécessité d’envoyer une partie de cette force sur quelques points, cet envoi aura lieu à titre provisoire d’un commun accord.
24. Le Ministre des Affaires Étrangères et le Dar Niaba à Tanger continueront à traiter avec les puissances étrangères comme cela se fait actuellement.
25. Les traités, accords internationaux, conclus entre le gouvernement chérifien et le gouvernement français seront respectés et leur exécution ne sera pas entravée.
26. Les réformes générales seront exécutées conformément à ce qui est prévu dans l’acte d’Algésiras.
27. Le contrôle ne sera pas étendu aux Habous qui resteront sous la dépendance du Makhzen. Leur produit restera particulièrement affecté aux œuvres pieuses ; il ne sera pas versé au Trésor de l’État.











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