NOVEMBRE 1960, LETTRE DU ROI MOHAMMED V À BOURGUIBA
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Le 7 novembre 1960, en pleine effervescence des luttes postcoloniales en Afrique du Nord, SM le Roi Mohammed V adressa une lettre officielle au président tunisien Habib Bourguiba. Ce document, empreint de solennité, témoigne de la fermeté du souverain marocain dans la défense de l’intégrité territoriale du Royaume et de son attachement à l’unité régionale.
Le contexte est marqué par la question de la Mauritanie, que le Maroc considère alors comme une partie inséparable de son territoire, amputée au cours de la période coloniale. Alors que la délégation tunisienne à l’ONU adopte une position divergente, favorable à la reconnaissance de la Mauritanie comme État indépendant, le Roi exprime sa profonde déception face à ce qu’il perçoit comme une rupture dans la solidarité entre pays frères.
À travers cette correspondance, Mohammed V rappelle l’ancienneté des liens historiques entre la Mauritanie et le trône chérifien, tout en insistant sur le caractère national et sacré de la revendication marocaine. Il appelle Bourguiba à revenir sur une position jugée préjudiciable, au nom de l’amitié tuniso-marocaine mais aussi de la perspective plus large de l’édification d’un espace nord-africain uni et solidaire.
Cette lettre illustre à la fois la vision géopolitique de Mohammed V, soucieux de consolider les jeunes indépendances régionales, et la détermination du Maroc à défendre son intégrité territoriale contre toute tentative de fragmentation héritée du colonialisme.
« Louange à Dieu seul !
Salut et bénédiction sur notre seigneur, le prophète de Dieu.
De la part de Mohamed V, Roi du Maroc, à notre cher ami, Son Excellence monsieur Habib Bourguiba, président de la République tunisienne.
Que le salut, la miséricorde et les bénédictions divines vous soient prodiguées.
Les liens de cordiale amitié qui existent entre nos personnes et nos États nous font un devoir de vous écrire pour vous entretenir des questions intéressant nos deux pays, entretiens fraternels au cours desquels sont passés en revue tous les sujets qui risqueraient de nous diviser et sur lesquels nous désirerions attirer votre attention dans l'espoir que vous leur prêteriez la considération qu'ils méritent.
Ainsi, Nous avons récemment appris que la délégation tunisienne à l'Organisation des Nations Unies avait adopté à l'égard de la question de la Mauritanie une position contraire à celle que le Maroc a décidé de prendre et de défendre. Nous avons également été informé des articles publiés par certains journaux sur le point de vue du gouvernement tunisien à ce sujet.
Cette prise de position et ces articles de presse ont produit sur Nous l'effet le plus pénible. Nous avons été surpris de voir un pays auquel Nous attachent des liens d'amitié, de cordialité et de fraternité prendre pareille position. Tout en déplorant profondément cette situation, tout en nous attristant au plus haut point, Nous avons l'espoir que les faits dont Nous avons été informé sont dénués de fondement et que Votre Excellence fera le geste qui rétablira le cours normal des choses et affirmera notre étroite solidarité et la robuste amitié dont les liens n'ont jamais cessé de rapprocher deux pays frères.
Nous considérons la Mauritanie comme une portion de Notre pays, coupée du territoire et arrachée par la violence dans des circonstances dont Nous avons connu comme vous-même l'amertume. Aucune raison, de quelque nature que ce soit, ne Nous détournera de revendiquer le retour de cette portion de territoire dans le giron du territoire national libéré. Nous ne pensons pas que pareille revendication constitue de Notre part une méconnaissance du Droit.
La question mauritanienne, comme toutes les autres questions qui concernent l'unité de la patrie et l'exercice de la souveraineté nationale, présente en effet pour Nous le caractère d'une mission que Nous a confiée la nation. De tout cœur Nous assumerons cette mission. Le Maroc par ailleurs est, plus que jamais, pénétré du bien-fondé de sa position et convaincu qu'il défend une cause juste que n’entache aucun esprit d'oppression, aucune iniquité.
La Mauritanie, qui constitue une portion du territoire national, est demeurée tout au long des siècles passés de l'histoire du Maroc attachée à Nous et à Notre trône et a toujours mis un point d'honneur à respecter nos liens. Il est tout naturel que nos amis fidèles, dont nous avons éprouvé les sentiments et qui ont éprouvé les nôtres, et parmi lesquels nous comptons le pays frère de Tunisie, soient à nos côtés et nous soutiennent, qu’ils nous prêtent tout leur appui.
Si, à Dieu ne plaise, la Tunisie adoptait un comportement susceptible d'affaiblir notre position et de gêner notre action, il en résulterait des conséquences fâcheuses pour Nos relations avec vous en particulier et, d'un point de vue général, pour l'avenir de l'Afrique du Nord que Nous espérons édifier sur les fondements les plus solides et les plus durables.
Nous avons le plus grand et le plus exaltant espoir que votre sagesse connue, votre expérience éprouvée et votre profonde amitié préviendront tous les inconvénients de ce genre et que vous daignerez édicter que soit appuyée la position que Nous avons adoptée, et soutenue une cause que Nous ne considérons pas comme celle du Maroc seule, mais comme la cause de l’Afrique du Nord tout entière.
Salut, miséricorde et bénédiction de Dieu sur le noble frère.
Fait en Notre capitale de Rabat, le 17 joumada I 1380, correspondant au 7 novembre 1960.
Mohamed Ben Youssef.

Il est essentiel de replacer cette lettre de SM le Roi Mohammed V dans son contexte. Au début des années 1960, le Maroc, fraîchement indépendant, revendiquait le retour dans le giron national des territoires amputés par le colonialisme. Le territoire correspondant à l’actuelle Mauritanie faisait partie intégrante des dynasties marocaines successives (almoravides, almohades, mérinides, saadiennes et alaouites), et resta rattaché au Royaume jusqu’à l’intervention coloniale française qui imposa une séparation artificielle.
La revendication exprimée par Mohammed V n’était donc pas une ambition expansionniste mais la défense légitime de l’intégrité territoriale du Maroc, amputé de plusieurs régions au XIXe et XXe siècle par les puissances coloniales.
Toutefois, en 1969, lors d’une réunion extraordinaire de la Ligue arabe à Rabat, convoquée après l’incendie criminel de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, le Maroc prit une décision historique : SM le Roi Hassan II, dans un esprit de sacrifice pour l’unité arabe et au service de la cause palestinienne, accepta la reconnaissance officielle de la Mauritanie indépendante.
Depuis lors, le Maroc entretient avec la République islamique de Mauritanie des relations fondées sur la fraternité, le respect mutuel et la coopération, loin des tentatives malveillantes de certains régimes qui cherchent à semer la discorde entre deux peuples unis par l’histoire, la culture et la foi.
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