Ambassadrice et conseillère de son fils Abd al-malek as-Saadi, elle a permis à son fils de prendre les rênes du pouvoir au Maroc. Sahaba er-Rahmania a joué un rôle déterminant dans l’histoire politique du pays. Qui est donc cette femme qui a abouti à la victoire écrasante du Maroc lors de la bataille d’Oued al-Makhazen (ou la bataille des trois rois) en 1578.
Elle est dite brave, courageuse, avec un caractère bien trempé. Certains historiens semblent même la confondre avec Messaouda al-Wazkitia, les réduisant à er-Rahmania, qui serait alors la mère des deux frères, Ahmad et Abd al-Malek. En fait, cette confusion est compréhensible. Les deux femmes ont plusieurs points en commun : elles sont des épouses de Mohammed al-cheikh as-Saadi, et elles ont soutenu leurs fils durant leur période difficile d’exil. Cela dit, ar-Rahmania a joué un rôle déterminant dans la carrière politique des deux frères. Nous allons donc étaler son parcours sans pour autant donner plus de détail sur sa naissance, jeunesse, etc., car nous les ignorons.
Les historiens mentionnent Sahaba er-Rahmania quand il est question de la victoire que le prince Abd al-Malek a remportée sur son neveu, Moulay Mohammed ben Abdallah, dans leur lutte pour le pouvoir, en 1576. Selon eux, c’est grâce à son intervention auprès du sultan ottoman Salim ben Sulaymane que cette victoire a pu avoir lieu. Er-Rahmania est alors décrite comme étant la mère d’Abd al-Malek, et l’une des épouses du sultan Mohammed al-cheikh as-Saadi, lequel a gouverné de 1540 à 1557. "Or cette brève description indique que le rôle déterminant qu’elle a joué dans l’histoire politique du Maroc et dans celle de la dynastie saadienne leur a complètement échappé. En effet, comme le fait remarquer à juste titre Mohammed Saleh al-Amrani Benkhaldoun, Sahaba er-Rahmainia a joué le rôle d’une ambassadrice auprès de l’Empire ottoman, l’une des grandes puissances du monde de l’époque", raconte dans son livre "Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui", Osire Glacier.
En effet, cette intervention permet à son fils de prendre les rênes du pouvoir au Maroc. Mais pas seulement. Elle aboutit même à la victoire écrasante du Maroc lors de la bataille d’Oued al-Makhazen en 1578, une bataille critique pour la souveraineté du pays. Quand le sultan Abou Mohammed Abdallah al-Ghalib, successeur de Mohammed al-cheikh as-Saadi, est décédé en 1574, son fils aîné, Mohammed al-Moutawakil, accède au trône. Or selon le plan de la succession élaboré par Mohammed al-cheikh as-Saadi, c’est le frère aîné d’Abdallah al-Ghalib, Abd al-Malek, fils d’er-Rahmania, qui aurait dû prendre les rênes du pouvoir. "D’ailleurs, dès que ce dernier ainsi que son frère Ahmad – qui sera surnommé plus tard Ahmad Mansour ad-Dahbi – ont appris la nouvelle, ils ont craint pour leur vie, et se sont exilés sur le territoire nommé aujourd'hui "Algérie", se plaçant de la sorte sous la protection du sultan ottoman", détaille Osire Glacier.
Une fois sur le territoire nommé aujourd'hui "Algérie", notre protagoniste veille à ce que les deux frères complètent leur éducation et à ce qu’ils s’intègrent dans la cour ottomane, sans pour autant oublier leur héritage et leur histoire politique personnelle. "On peut dire qu’elle avait de la suite dans les idées et qu’elle a fait preuve de détermination et de persévérance. Immanquablement, elle a transmis ces valeurs aux deux frères, si bien qu’une fois adultes, ils ont conçu le projet d’aller chercher une alliance politique et du soutien militaire auprès du sultan ottoman Salim ben Sulaymane à Constantinople afin de pouvoir renverser leur neveu au Maroc", relate l’historienne.
À cette époque, soit en 1574, le sultan ottoman lutte contre les occupants espagnols pour reprendre le contrôle de la Tunisie. Pour ce faire, il envoie des missives à ses gouverneurs en territoire nommé aujourd'hui "Algérie" et à Tripoli leur demandant de dépêcher des navires qui pourraient le soutenir dans ce conflit. Apprenant la nouvelle, les deux frères décident de participer à l’opération défensive du sultan en dirigeant l’un des navires sortant d’Alger. Une fois la Tunisie reconquise, un heureux concours de circonstances va faire qu’Abd al-Malek sera le premier à annoncer la bonne nouvelle à sa mère qui, à son tour, sera la première à en informer le sultan.
"Flairant là une opportunité unique, elle profite de la situation et demande simultanément à ce dernier d’apporter son appui à Abd al-Malek dans sa lutte pour le pouvoir contre al-Moutawakil. Sans hésiter, cette fois-ci, le sultan ottoman ordonne à son gouverneur en Algérie d’équiper Abd al-Malek en hommes et en chevaux", raconte Osire Glacier. C’est grâce à elle que les deux frères peuvent enfin entrer au Maroc en 1576 et mener une guerre contre leur neveu. En 1576, Abd al-Malek reconquiert de force son trône, mais la guerre ne prend fin qu’après la mort dudit neveu lors de la célèbre confrontation des trois rois à Ksar El-Kébir d’Oued al-Makhazen en 1578.
"Si, hormis cet événement, l’histoire n’a presque rien retenu de Sahaba ar-Rahmania, il est néanmoins possible de déduire que celle-ci a dû être une femme d’exception à plusieurs égards. En fait, le travail de diplomate ne se limite pas à un simple acte de livraison d’une lettre ou d’un message. Il nécessite du tact, de la délicatesse et un certain savoir-faire. Par conséquent, la réussite d’ar-Rahmania dans son intervention diplomatique auprès du sultan ottoman indique qu’elle a probablement reçu une éducation supérieure, qu’elle a été consciente des enjeux politiques de son temps et qu’elle possédait une grande connaissance des cours princières", écrit l’historienne dans son livre.
Malheureusement, la contribution des femmes à l’Histoire du Maroc en particulier, et à leur société en général, est encore oubliée. La portée de l’Histoire classique se limite aux changements du pouvoir, aux questions territoriales et aux batailles et leur dates. Même l'inculcation de l'histoire continue à véhiculer une vision, patriarcale, masculine et élitiste du monde dans un temps pareil. Résultat, même quand les femmes ont été présentes sur la scène politique du pays, elles ont été tout bonnement effacées de la mémoire collective.
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