TARZ FASSI, LA BRODERIE MAROCAINE PAR EXCELLENCE
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Parler de la broderie marocaine, c’est mettre en lumière un art qui traverse plus d’un millénaire avec un raffinement unique et une identité profondément enracinée dans l’histoire du Royaume. Au cœur de cet héritage se trouve le tarz fassi, aussi appelé tarz el-ghorza ou tarz el-ghaza, une broderie née à Fès et devenue l’une des signatures les plus raffinées de l’artisanat marocain.
Fès, fondée en 789 par Idriss Ier, s’impose très tôt comme un foyer majeur de savoir et de création. Dès le IXᵉ siècle, la ville attire des artisans, des lettrés et des maîtres d’art qui façonnent une tradition artisanale d’une richesse exceptionnelle. Durant les siècles suivants, un événement historique majeur participe à l’enrichissement artistique du Royaume : le retour des Maures d’Andalousie après la chute de Grenade en 1492. Ces populations musulmanes et juives andalouses, majoritairement d’origine marocaine ou fortement liées aux dynamiques culturelles du Royaume, reviennent s’installer à Fès, Tétouan, Rabat, Salé et Chefchaouen. Elles ramènent avec elles des techniques fines, un sens aigu de la géométrie, une maîtrise remarquable de la symétrie et une esthétique élaborée qui s’accorde pleinement avec les traditions marocaines existantes. C’est dans cette rencontre entre l’ancien savoir marocain et les apports andalous que se perfectionne progressivement un style unique de broderie au fil compté : le tarz fassi.

— The Post Star | 29 mai 1988
Ce style se reconnaît instantanément. Le tarz fassi se réalise sur un fond blanc ou écru, souvent en lin ou en coton de grande finesse. Ce choix du blanc, volontaire et symbolique, met en valeur la pureté du geste, l’équilibre des formes et le calme visuel qui caractérisent l’artisanat fassi. Les motifs sont précis, rigoureux, parfaitement maîtrisés : losanges équilibrés, étoiles à huit branches, fleurs stylisées, lignes croisées, symétrie impeccable. Les couleurs obéissent à la même logique d’élégance contenue : noir profond, bleu nuit, rouge grenat, parfois vert bouteille ou vert plus clair. Cette sobriété est l’une des signatures du tarz fassi.
Le travail se fait au point de croix ou au passé plat, entièrement à la main. L’artisane n’utilise aucun dessin préalable. Elle compte littéralement les fils du tissu un par un, avançant point après point, motif après motif. C’est la technique du fil compté, une discipline d’une rare exigence, qui demande un œil parfaitement entraîné, une rigueur absolue et une patience que seules possèdent les maâlmate, les maîtresses artisanes. Pendant des siècles, ces femmes ont protégé jalousement leur savoir-faire. Dans la médina de Fès, certaines familles étaient réputées dans tout le Royaume pour la finesse et la précision inégalées de leur tarz. La transmission se faisait de mère en fille, ou d’une maâlima à son apprentie, dans le respect de l’honneur de l’atelier.
Les pièces brodées en tarz fassi occupent une place centrale dans les maisons marocaines, notamment dans les intérieurs traditionnels fassis. On les retrouve sur les rideaux aux motifs géométriques subtils, sur les serviettes et les nappes qui embellissent l’art de recevoir marocain, sur les ceintures de caftan et de takchita portées lors des mariages, sur les voiles traditionnels tels que le mechmel et le khmar fassi, ainsi que sur les coussins et les housses de banquettes des salons marocains. Chaque pièce est un travail titanesque. Certaines commandes particulières nécessitent des mois, voire des années de travail. Une simple nappe de thé pour six personnes peut compter plus de quarante mille points de croix, tous réalisés à la main.
Le Maroc reconnaît pleinement la valeur culturelle du tarz fassi. Cette broderie est inscrite au patrimoine culturel immatériel national et fait l’objet de programmes de sauvegarde pilotés par le ministère de l’Artisanat et le ministère de la Culture. Des institutions comme l’Institut national des beaux-arts de Tétouan ou les centres de formation de Fès jouent un rôle essentiel dans la transmission de cette tradition aux nouvelles générations. Ainsi, le tarz fassi n’est pas seulement préservé, il continue de vivre. Aujourd’hui encore, malgré l’apparition des machines industrielles, les grandes maisons de caftans marocains, à Fès, Marrakech, Rabat ou Casablanca, continuent d’exiger des broderies entièrement réalisées à la main. Une ceinture de takchita brodée selon cette technique peut atteindre plusieurs centaines de dirhams, non par simple luxe, mais parce que le travail qu’elle représente, en temps, en précision et en tradition, est d’une valeur rare.
Le tarz fassi n’est pas qu’une broderie, c’est une mémoire vivante. C’est la trace laissée par des générations entières de femmes marocaines dont la patience est devenue art, dont la rigueur est devenue beauté et dont le geste est devenu héritage. C’est un chef-d’œuvre qui raconte l’histoire d’un Royaume qui n’a cessé de se construire, de se renouveler et de sublimer ses propres traditions. Grâce aux maâlmate qui œuvrent encore aujourd’hui dans les ruelles de Fès, ce style demeure vivant et profondément marocain.











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