Le 10 avril 1947, le sultan Sidi Mohammed Ben Youssef s’était rendu à Tanger, alors zone internationale. Il choisit le jardin de la Mendoubiya, bâtiment où siégeait jadis l’équivalent du ministère des Affaires étrangères du Makhzen, pour prononcer un discours historique, où il réclama, sans toutefois prononcer le terme, l’indépendance de son pays. Cependant, le discours prononcé par le jeune sultan comportait d’autres messages.
1- Absence du mot indépendance A aucun moment, Feu SM Mohammed V n’utilise, dans son discours, le mot indépendance. Sans-doute pour ne pas froisser la France, représentée alors au Maroc par un résident général, Eirik Labonne, réputé libéral. « Le Maroc désire ardemment acquérir ses droits entiers », s’est-il contenté de dire, tout en ajoutant : « Le peuple qui s’éveille enfin prend conscience de ses droits et suit le chemin le plus efficace pour reprendre son rang parmi les peuples ».
2- Hommage à la France S’il ne prononce pas le mot indépendance, ce qui se fait encore appelé le sultan Sidi Mohammed a rendu un vibrant hommage à la puissance protectrice. Dans son discours, le sultan alaouite avait exhorté ses sujets à s’inspirer des « Français », ce peuple « épris de cette liberté qui conduisit le pays (le Maroc) vers la prospérité et le progrès ». « Jetez un regard sur le monde civilisé, inspirez-vous de ses sciences et suivez la voie déjà tracée par des hommes qui ont formé la civilisation moderne », s’était-il encore écrié.
3- Thank you America Bien que suite à la mort d’Eleonore Roosevelt, les Américains n’ont pas tenu leur promesse -formulée lors de la conférence d’Anfa- de rendre l’indépendance aux Marocains, le sultan Sidi Mohammed ne leur en a pas vraiment tenu rigueur, bien au contraire. « J’éprouve beaucoup d’estime et de respect pour les services rendus par la République américaine aux pays arabes, et notamment pour sa participation à la délivrance de l’oppression », a-t-il même déclaré dans son discours.
4- Le sultan panarabiste A une époque où l’idéal panarabiste avait le vent en poupe, le sultan du Maroc ne dérogeait pas, lui non plus, à la règle. « Il va sans dire que le Maroc , étant un pays attaché par des liens solides aux pays arabes d’Orient, désire naturellement que ces liens se raffermissent de plus en plus, surtout depuis que la Ligue Arabe est devenue un organisme important qui joue un grand rôle dans la politique mondiale », avait-il déclaré, avant d’ajouter : « Les pays arabes ne forment qu’une seule Nation : que ce soit à Tanger ou à Damas, cela ne fait qu’une. J’éprouve beaucoup d’estime et de respect pour les services rendus par la République américaine aux pays arabes, et notamment pour sa participation à la délivrance de l’oppression ». Les temps ont bien changé depuis !
5- Un discours moralisateur « L’avarice », « l’injustice », « l’ignorance »… autant de maux dans lesquels pataugeait les Marocains et auxquels le sultan Sidi Mohammed s’était attelé à condamner dans son discours de Tanger. « En désertant (la science), nos voies de salut se sont assombries, notre égarement a été à son comble quand nous nous sommes laissés envahir par l’ignorance. […], l’injustice est venue s’installer parmi nous, nos principes se sont transformés en moyens d’oppression privant les hommes de leurs droits sacrés. […]L’avarice, en s’emparant de nos âmes, les a perdues, l’égoïsme, en annihilant nos qualités de cœur, nous a précipités dans la décadence. Nous avons préparé les voies de nos malheurs pour subir les vicissitudes de la dispersion ».
Accueilli avec enthousiasme par les Marocains, ce discours, où la France n'est pas mentionnée, suscite l'inquiétude des colons européens et déclenche une grave crise avec le gouvernement français qui remplace le résident général Labonne par le général Juin, le 14 mai 1947. À plus lointaine échéance, le discours de Tanger souligne le caractère dynastique du nationalisme marocain qui s'organise autour du souverain, situation originale par rapport à celle de la Tunisie ou de l'Égypte.
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