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LES ARCHIVES FRANÇAISES RACONTENT LA SPOLIATION DU MAROC

  • 10 juin
  • 4 min de lecture
archive france sahara oriental

Parmi les trésors documentaires retraçant l’histoire du Maroc, certains manuscrits remontent jusqu’au XIIe siècle. C’est le cas du Hulal al-Mûshiyya fî Dhikri al-Akhbâr al-Murrâkushiyya, un manuscrit précieux qui offre un regard rare sur la ville de Marrakech à l’époque des dynasties almoravide et almohade.


Cependant, l'une des principales ressources historiques reste le fonds du Gouvernement général de l’Algérie (FGGA), conservé aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM). Malgré son intitulé, ce fonds ne se limite pas à l’histoire algérienne. Dès 1830, l’administration coloniale française a rassemblé une vaste documentation sur le Maroc, notamment à mesure que ses ambitions au Sahara prenaient forme. La série 4 H, par exemple, relate des expéditions scientifiques et militaires menées sur le territoire marocain. Elle rassemble près de 50 cartons d’une valeur inestimable pour comprendre les « Territoires du Sud », entités administratives établies pour relier l’Algérie coloniale à l’Afrique-Occidentale française (AOF).


Ces documents incluent :


  • des archives sur les familles du Makhzen (l’appareil étatique traditionnel marocain),

  • des actes d’allégeance (bay‘a) rédigés en arabe,

  • des collections manuscrites issues de confréries religieuses comme les Tijâniyya, Wazzâniyya, Nâsiriyya, Hansaliyya et ‘Isâwiyya,

  • des monographies tribales sur le Sahara,

  • et des milliers de cartes et relevés de frontières.


Ces archives tracent ainsi une forme de cartographie de la dépossession, racontant, à travers leurs lignes, l’érosion progressive de la souveraineté spirituelle, politique et culturelle du Maroc sous la domination coloniale.


La demande formulée par l’Algérie depuis les années 1980 pour obtenir la restitution de l’ensemble des archives de la période coloniale (1830-1962) ne peut être dissociée de la question du Sahara, à la fois occidental et oriental. Ainsi, en décembre 2020, TV5 Monde relayait l’exigence algérienne adressée à la France, quelques jours après que le président Emmanuel Macron eut annoncé au président Tebboune la prochaine publication du rapport de l’historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et de la "guerre d’Algérie".


Mais le débat mémoriel ne saurait occulter les réalités historiques et territoriales. Une part significative des documents conservés à Aix-en-Provence concerne avant tout le Maroc. Les archives, contrairement aux territoires, ne devraient pas faire l’objet d’une appropriation unilatérale. Il conviendrait que les chercheurs, historiens et responsables politiques prennent en compte la portée régionale et transfrontalière de ces documents.


Nombre de fonds archivistiques aux ANOM concernent des territoires au statut contesté. En restituer certains à l’Algérie reviendrait à appuyer une interprétation exclusive de l’histoire saharienne, en négligeant les revendications marocaines, notamment sur le Sahara oriental. L’archive devient ainsi un instrument de légitimation politique, voire un levier dans les conflits diplomatiques.


Les anciennes puissances coloniales ont, par la conservation centralisée de ces archives, privé les pays concernés : Maroc, Algérie, Mauritanie, Sénégal, Vietnam, entre autres et d’un accès souverain à leur propre mémoire historique. Cette situation participe à une nationalisation du récit colonial par la France, au détriment d’une restitution équilibrée des documents aux nations concernées.


Un inventaire rigoureux, transparent et détaillé de ces archives pourrait permettre d’en mieux identifier la provenance et d’orienter les chercheurs vers leur richesse insoupçonnée. Cela contribuerait à diversifier les récits historiques, souvent réduits à une version linéaire et simplificatrice des processus de colonisation et de décolonisation.


Voici deux exemples de documents archivés dans le fonds du Gouvernement général de l’Algérie, mais se rapportant directement au Maroc :


  • Une fiche individuelle, datée du 22 novembre 1953, concernant Hemmani Abderrahman, membre d’une lignée de chefs tribaux sous l’autorité du sultan marocain Moulay Abderrahman (1822–1859), à Béni Abbès.



  • Une carte de 1944 illustrant la cession du territoire marocain de Tabelbala à l’Algérie, acte signé par le Résident général Gabriel Puaux, en contradiction avec les garanties territoriales du traité de Protectorat.



Les ANOM conservent l’essentiel des archives de l’administration coloniale française en Afrique et en Asie. Toutefois, la part consacrée à l’Algérie déborde largement les trois départements historiques (Alger, Oran, Constantine). Elle englobe aussi les territoires sahariens de la Saoura et des Oasis (Béchar, Tindouf, Tabelbala, Touat, In Salah), intégrés à l’Algérie indépendante malgré leurs attaches historiques au Maroc.


Ces territoires furent incorporés à l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) et devinrent, après les accords d’Évian, un enjeu géostratégique. La souveraineté algérienne sur ces zones fut une concession française en échange de la préservation de ses intérêts énergétiques. Pourtant, des séries d’archives entières (30 H, 31 H, 32 H) contiennent des dizaines de milliers de documents marocains. Ces fonds incarnent une forme d’appropriation postcoloniale : l’histoire des territoires y est redéfinie à travers une lecture strictement administrative française, puis algérienne.


Depuis les années 1980, l’Algérie cherche à inclure la question des archives dans le cadre des accords d’Évian bien que ceux-ci n’en fassent aucune mention. Pour Alger, il s’agit d’un héritage qui permet de consolider un récit national unifié. Pour Rabat, ces documents constituent des preuves historiques essentielles des amputations territoriales opérées à la fin du XIXe siècle par Jules Cambon, et réactivées par le président Boumediene après 1975.


La restitution intégrale de ces fonds à l’Algérie soulève donc des enjeux aussi bien politiques qu’historiographiques. Peut-on remettre à un État perçu comme bénéficiaire de ces reconfigurations coloniales des archives sensibles, sans en compromettre la neutralité ? Les documents relatifs au Sahara mériteraient d’être placés sous une gouvernance multilatérale, garantissant leur accessibilité à toutes les parties concernées. Car, en définitive, le Maroc est le premier pays à avoir vu ses frontières redessinées au profit de l’Algérie française.

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