FIN DE MYTHE, L’ALGÉRIE RENONCE À SA DOCTRINE ANTI-NORMALISATION
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Pendant plus de soixante ans, le régime algérien s’est drapé dans une posture de gardien autoproclamé de la cause palestinienne, répétant jusqu’à l’usure les slogans d’une époque révolue. Il accusait le Maroc, Israël, les États-Unis et même les Palestiniens eux-mêmes lorsqu’ils ne correspondaient plus aux récits qu’Alger imposait à son opinion publique. Pourtant, c’est aujourd’hui ce même régime qui opère un virage si abrupt qu’il a pris de court même ses plus fidèles relais.
À Washington, Sabri Boukadoum, ambassadeur d’Algérie et ancien ministre des Affaires étrangères, a laissé tomber une phrase qui restera comme l’un des aveux diplomatiques les plus spectaculaires de l’histoire récente du pays. Interrogé sur une éventuelle normalisation avec Israël, il a simplement répondu : « Tout est possible ». Une phrase courte, presque légère, mais lourde comme un tremblement de terre. Elle marque la rupture la plus nette avec la rhétorique “révolutionnaire” que le pouvoir d’Alger brandissait depuis l’ère Boumediène. Ce que l’Algérie présentait comme des positions “sacrées”, comme des lignes rouges indépassables, se retrouve effacé d’un revers de main, au nom d’un calcul géopolitique qui ne dit pas son nom.
Ce glissement ne tombe ni du hasard ni de l’improvisation. Depuis des mois, Boukadoum multiplie les signaux d’ouverture à l’égard de Washington, cherchant à rompre avec une dépendance russe installée depuis soixante ans pour se repositionner auprès de l’administration américaine, particulièrement influencée par le retour de l’écosystème trumpien. Le régime veut apparaître modernisé, utile, disponible, et surtout docile face aux exigences de la puissance américaine. L’Algérie a même signé un mémorandum de coopération militaire inédit, installé des groupes de travail pour étudier des achats d’armements américains, et investi des sommes considérables dans la communication ciblant l’espace politique de Washington.
Cette stratégie d’alignement s’est confirmée au Conseil de sécurité des Nations unies, lorsque l’Algérie a voté en faveur d’une résolution américaine sur Gaza, pourtant rejetée par le Hamas lui-même. Ce vote, que rien ne justifiait diplomatiquement pour Alger, a montré l’étendue du repositionnement en cours. L’État algérien, qui dénonçait encore récemment l’impérialisme américain et les alliances israélo-arabes, s’est retrouvé à soutenir un texte qui prévoit une force multinationale dans Gaza et un rôle israélien dans la phase post-Hamas. Le contraste entre son discours interne et ses actes internationaux est devenu impossible à cacher.
Cette dynamique se retrouve aussi à Paris, où Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée et relais essentiel du régime algérien en Europe, a accueilli Charles Kushner, nouvel ambassadeur américain en France et père de Jared Kushner, architecte des Accords d’Abraham. Cette image, inimaginable il y a encore cinq ans, dit tout du recalibrage en cours : l’Algérie, farouchement opposée aux Accords d’Abraham et à la normalisation du Maroc, cherche désormais à se frayer une place auprès de ceux qui ont conçu ces mêmes accords.
Les raisons de ce virage sont connues. L’Algérie traverse un isolement diplomatique inédit. Son influence au Sahel s’est effondrée. Ses relations avec l’Europe se sont dégradées. Les États-Unis multiplient les pressions, parfois les menaces, parfois les humiliations publiques. Et pendant que le Maroc consolide son partenariat stratégique avec Washington et renforce son rôle dans l’espace atlantique et africain, Alger voit sa marge d’action se réduire à vue d’œil.
Dans cette configuration, le régime algérien n’a qu’une seule carte : montrer à Washington qu’il peut devenir “utile”, quitte à sacrifier ses anciennes postures idéologiques. L’obsession envers le Maroc joue aussi un rôle majeur. Depuis 2020, la propagande algérienne présentait la normalisation maroco-israélienne comme une trahison, un crime historique et l’abandon ultime de la Palestine. Elle accusait Rabat de s’être “vendu”, d’avoir renié ses principes, d’agir contre les Arabes, contre l’Afrique, contre la morale.
Or voilà que la même Algérie découvre que, finalement, la normalisation… pourrait lui convenir. Le discours de “principes”, celui qui servait d’arme politique contre le Royaume, se fracasse contre le mur de la réalité diplomatique. L’État algérien est prêt à assumer ce qu’il condamnait chez les autres. Il ne veut plus être perçu comme un pays isolé, hostile, rétrograde, figé dans les années soixante. Il veut être reconnu, regardé, pris au sérieux, même si cela implique d’avaler publiquement tout ce qu’il a hurlé pendant des années.
Le régime parle de résistance à son peuple, mais de disponibilité à Washington. Il invoque Boumediène dans ses discours internes, mais pratique l’alignement dans les chancelleries étrangères. Il insulte le Maroc pour ses relations avec Israël, mais se prépare discrètement à faire exactement la même chose.
C’est peut-être cela, au fond, la vraie rupture historique. L’Algérie n’a pas seulement ouvert la porte à Israël : elle a ouvert la porte à la vérité. Celle d’un régime qui ne croit plus à ses propres slogans, qui cherche désespérément à sortir de l’isolement, et qui, pour la première fois depuis soixante ans, renonce à ce qu’il présentait comme “non négociable”.
La normalisation n’est plus une hypothèse lointaine. C’est désormais un chemin que le régime explore, doucement, timidement, mais avec une détermination visible pour quiconque observe la scène diplomatique. Et ce retournement n’a rien à voir avec la Palestine. Il a tout à voir avec Washington. Et encore plus avec Rabat.











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