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TRAHISONS ET RÉSURRECTIONS, LE JEU DE POUVOIR À L'ALGÉRIENE

  • il y a 2 jours
  • 5 min de lecture

Le magazine français Le Point consacre un article saisissant à la trajectoire du général algérien Abdelkader Aït Ourabi, plus connu sous le nom de Hassan, décrivant un destin hors du commun, digne d’un personnage de fiction. À l’instar de Hugh Glass, héros du roman de Michael Punke adapté au cinéma dans The Revenant qui valut à Leonardo DiCaprio l’Oscar du meilleur acteur le général Hassan semble être revenu à la vie après avoir été politiquement enterré.


Dans ce récit, le journaliste algérien Farid Alilat retrace le parcours vertigineux du général. Le 27 août 2015, Hassan se trouve au plus bas : incarcéré dans une cellule de la prison militaire de Blida sur ordre du tout-puissant général Ahmed Gaïd Salah, alors vice-ministre de la Défense et chef d’état-major. Officiellement poursuivi pour “destruction de documents” et “non-respect des ordres militaires”, dans une affaire classée “secret défense”, il est condamné à cinq ans de prison. Il purgera cette peine jusqu’au 28 novembre 2020, avant de regagner son logement modeste dans un quartier militaire d’Alger, profondément marqué par cette chute brutale.


Après un demi-siècle de service loyal dans les services de renseignement et dans la lutte antiterroriste, Hassan avait été jeté aux oubliettes. Mais l’Algérie a cette particularité : ses généraux peuvent tomber en disgrâce, finir entre les murs d’une cellule, pour ensuite revenir aux plus hautes responsabilités comme si de rien n’était. Et Hassan n’échappe pas à cette règle implicite. Presque dix ans après sa première nuit derrière les barreaux, le destin lui offre une revanche spectaculaire. Le 21 mai 2025, il est officiellement nommé à la tête de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), équivalent du renseignement intérieur, en remplacement d’Abdelkader Haddad, alias "Nacer El Djen".


Le contraste est saisissant : de prisonnier à haut responsable réinstallé dans un luxueux bureau à 32 kilomètres au sud-ouest de la capitale, dans un complexe militaire jadis utilisé pour détenir secrètement l’ancien président Ahmed Ben Bella pendant quinze ans. Une trajectoire qui résume bien l’Algérie officielle : le passage de la cellule au pouvoir, ou l’inverse, fait partie du décor. Le Point qualifie ainsi Hassan de “revenant”.


Aucune communication officielle n’a accompagné le départ de “Nacer El Djen” ni la nomination de Hassan, soulignant le caractère opaque des décisions dans les plus hautes sphères sécuritaires du pays. Ancien compagnon de Hassan dans les opérations antiterroristes, il s’était exilé en Espagne en 2015, officiellement pour se consacrer à des affaires, mais surtout pour s’éloigner du radar des nouvelles autorités après la chute du président Bouteflika et l’ascension de Gaïd Salah. Ce dernier s’était juré d’écarter les officiers fidèles au général Mohamed Mediène, alias “Toufik”, ancien chef du renseignement pendant un quart de siècle et rival personnel.


Après le décès de Gaïd Salah en décembre 2019, l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence et la nomination du général Saïd Chengriha à l’état-major, les équilibres au sein de l’armée et des services ont basculé, ouvrant la voie au retour de figures marginalisées. “El Djen” retrouve ainsi un poste clé en 2022 à la tête du centre d’opérations de Ben Aknoun. Mais en avril 2024, lors d’une prière de l’Aïd, le président Tebboune lui glisse un avertissement à peine voilé : “Prépare-toi.”


Moins de quatre mois plus tard, “El Djen” est nommé à la tête de la DGSI, mais son mandat sera de courte durée. Comme ses quatre prédécesseurs, il tombe à son tour. Selon Le Point, la DGSI s’est transformée ces dernières années en véritable police politique, où chaque faux pas peut être fatal. “Il savait que sa fin était proche”, aurait confié un proche. Un conseiller du président aurait même lâché lors d’une conversation privée : “Il partira en juillet.” Finalement, son départ est intervenu encore plus tôt.


Toujours selon le magazine, l’intérieur de la DGSI et du palais d’El Mouradia demeure un univers impénétrable, fait de non-dits et de rivalités silencieuses. Officiellement, rien ne justifie l’éviction de “El Djen”. En coulisse, certains avancent qu’il aurait remis à Tebboune des dossiers sensibles impliquant des proches du pouvoir dans des affaires de corruption. A-t-il franchi une ligne rouge ? Toujours est-il qu’il a été remercié sans éclat.


Dans les milieux du renseignement, Hassan jouit d’une réputation presque mythique. Aventurier, courageux, mais pragmatique, il est né en 1947 et débute dans la marine dans les années 1960. Diplômé de grandes écoles militaires, il passe par la Direction de la sécurité de l’armée, avant de se spécialiser dans la lutte antiterroriste à partir de 1992.


Ceux qui l’ont côtoyé durant les années noires de la guerre civile se souviennent d’un chef proche de ses hommes, qui partageait les risques sur le terrain. Blessé dans un faux barrage près de Blida, il poursuit sa carrière avec des missions à l’étranger, au Sahel, au Tchad et au Sénégal, où il devient un spécialiste reconnu des questions sécuritaires régionales.


En 1999, il revient à Alger pour réintégrer les dispositifs de lutte contre le terrorisme. Sa maîtrise du renseignement et de l’infiltration permet de déjouer plusieurs attentats.


Mais l’épisode décisif de sa carrière se joue en 2013, lors de l’attaque du complexe gazier de Tiguentourine, dans le sud-est du pays. Le bilan est lourd : 37 otages tués, principalement des étrangers, et 29 hommes éliminés par les forces spéciales du renseignement dirigées par Hassan.


Dans la foulée, il est chargé par le général Toufik d’une mission secrète suite à la chute de Kadhafi : intercepter un arsenal, dont des missiles antiaériens, destiné à un groupe armé mené par l’algérien Mokhtar Belmokhtar. Ses agents infiltrent le groupe, participent à la transaction, font grimper les prix, achètent les armes, éliminent les terroristes et récupèrent les fonds. Une opération de haut vol.


Mais Gaïd Salah, tenu à l’écart, y voit une humiliation. Il décide de faire payer Hassan. En 2015, ce dernier est jugé, malgré une lettre de soutien du général Toufik qualifiant l’opération de "hautement patriotique". Les juges ne cèdent pas, Hassan est condamné à cinq ans de prison.


En 2021, il est blanchi, tout comme Toufik, avec restitution de ses biens et réhabilitation. Et en 2025, il revient au sommet, dans un scénario qui semble désormais typique du fonctionnement du pouvoir algérien, où l’on peut passer de geôlier à général, et inversement, dans un théâtre de pouvoir aussi imprévisible que verrouillé.


Dans cette version algérienne de Game of Thrones, les épées ont été remplacées par des communiqués non publiés, les trahisons se trament non pas dans des donjons, mais dans des salons feutrés. Et comme dans cette série culte, personne n’est jamais vraiment mort surtout pas les généraux. Ils tombent, se relèvent, changent de camp, reprennent un poste ou disparaissent dans l’ombre, attendant le bon moment pour reparaître à la lumière. Dans ce royaume d'illusions sans saisons mais aux retournements constants, ceux qui ne jouent pas le jeu du pouvoir sont éliminés les autres, eux, ressuscitent.

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